05/09/2013

La peine de probation a-t-elle une quelconque utilité?

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A bien y réfléchir, on se demande à quoi servira cette loi...

Bien sûr, les esprits simples adorent les oppositions simples: la droite serait répressive, la gauche serait laxiste.

On peut décliner aussi cette opposition en ravivant régulièrement le clivage entre le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice. Déjà, en 1983, on pouvait faire ses choux gras d'une opposition entre Gaston Deferre et Robert Badinter. Aujourd'hui, on ranime le débat entre Valls et Taubira.

De la même façon, les esprits simples adorent l'opposition entre la prison (pure répression) et les peines alternatives. Disons simplement que, lorsqu'une personne se trouve en prison, on peut aussi la sevrer de la toxicomanie, lui soigner les dents, éventuellement la former. Est-ce de la répression ou de la prévention des récidives?

Ainsi donc Christiane Taubira s'est enfin décidée à bouger: après une année d'inaction judiciaire, elle propose des peines de probation. Applaudissements à gauche. Sifflets à droite.

A la lecture des projets, on se frotte les yeux! Christiane Taubira vient tout simplement d'inventer ce qui existe depuis la nuit des temps judiciaires: le sursis avec mise à l'épreuve. Cette peine est prononcée déjà tous les jours à des dizaines de milliers d'exemplaires devant les tribunaux.

Les termes "sursis avec mise à l'épreuve" disent bien ce qu'ils veulent dire: la personne ne va pas en prison mais elle est mise à l'épreuve en devant suivre des stages, trouver un travail, se désintoxiquer, ne pas rencontrer l'ex-épouse frappée, etc, etc. Les juges (en correctionnelle ou les juges d'application des peines) se chargent de trouver des mises à l'épreuve qui correspondent au maximum au cas concret de la personne condamnée. Si le sursis avec mise à l'épreuve n'est pas respecté, il tombe (mais c'est loin d'être automatique) et le condamné se retrouve en prison.

Bien sûr, quand la peine de probation de Christiane Taubira ne sera pas respectée, on fera passer la "personne en probation" devant les juges qui, éventuellement, sanctionneront le non-respect de la probation par une peine de prison. Où est la différence réelle? Nulle part.

Les esprits simples vont alors se tourner vers l'abolition de la peine plancher: voilà une vraie opposition!

Eh bien, au risque de décevoir, cette opposition est fictive. D'accord la peine plancher, relativement appliquée entre 2007 et 2009, a suscité une inflation de la population carcérale. Mais, déjà, elle était loin d'être automatique: les juges pouvaient parfaitement prononcer une peine de trois ans de prison, par exemple, assortie de deux ans de sursis. Ce qui change tout: trois années ou une année de prison, pour le condamné, ce n'est pas du tout la même chose.

Ensuite, très vite, les magistrats, quand ils ne voulaient pas appliquer la peine "automatique", se contentaient de dire qu'elle n'était pas appliquée "étant donné les circonstances de l'infraction". Ce qui ne veut rien dire mais indique bien à quel point cette peine plancher n'était dans les faits que très peu appliquée. En fait, elle est appliquée aujourd'hui quand, de toutes façons, le récidiviste aurait été condamné à une peine supérieure ou égale à la peine plancher.

D'ailleurs, dès 2009, dans sa nouvelle loi pénitentiaire, Rachida Dati a insisté énormément sur la nécessité d'enfermer le moins possible.

Aujourd'hui, Taubira va donc abolir une peine plancher qui de toutes façons n'est quasiment jamais appliquée dans toute sa rigueur.

L'Union Syndicale des Magistrats, par la voix de sa secrétaire générale, a expliqué ses doutes sur l'efficacité et la nouveauté de la peine de probation. Mais, qu'importe, ce n'est l'opinion que du syndicat largement majoritaire des magistrats... Les esprits simples préfèreront toujours une opposition facile à comprendre mais si elle est fictive.

Didier Specq

Commentaires

Finalement le plus important passe quasiment inaperçu : les aménagements de peine ne seront possibles que pour les peines fermes prononcées inférieures à 1 an (6 mois pour les récidivistes) contre 2 ans actuellement (1 an pour les récidivistes) selon la loi pénitentiaire de 2009 votée par la droite.

J'ai vraiment du mal à comprendre comment la division par deux de ce délai va faire baisser la population carcérale...

A noter que la suppression de la rétention de sûreté ne semble plus à l'ordre du jour.

Écrit par : Mussipont | 05/09/2013

Cher Mussipont,

Soyons réalistes: la situation économique ne va pas s'améliorer et, en tous cas, sera incapable de réduire le chômage de masse dans les banlieues; l'intégration de populations marginalisées par la crise ne va pas s'améliorer du jour au lendemain; la délinquance de rue ne va donc pas baisser... En conséquence, il faut construire des prisons de telle façon qu'elles puissent accueillir dans des cellules individuelles et dans des conditions correctes des détenus. C'est d'ailleurs la seule façon d'accompagner réellement les détenus et de les préparer à la sortie: soins médicaux, mises en jour des papiers d'identité, de sécu; formations, empêcher le caïdat en prison, etc. Et, comme les prisons ne se construisent pas du jour au lendemain, il faut un plan sérieux de constructions. Vous avez compris: ces réflexions de bon sens ne passeront pas dans les faits. Donc, droite (loi pénitentiaire de 2009) comme gauche (circulaires de Taubira) chercheront à faire sortir au maximum les détenus. C'est une question de coût...J'ai l'impression que tout le reste est littérature. Et n'oublions pas la conséquence la plus scandaleuse: les enfants des pauvres sont entassées dans des conditions repoussantes.

Amicalement. D.S.

Écrit par : didier specq | 07/09/2013

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