27/11/2010

transformer un viol en simple agression

Vendredi, un habitant de Tourcoing, la cinquantaine un peu défraîchie, arrive dans le box avec le regard d'un lapin pris dans les phares. Agression sexuelle. Les magistrats, les avocats, le public le regardent à peine. Banalité des comparutions immédiates. Pourtant, la loi vient d'être détournée puisque le suspect devrait comparaître devant la Cour d'Assises de Douai. Explications.


Le mouvement d'émancipation des femmes, dans les années soixante-dix du siècle dernier, impose une loi (article 22-23 du code pénal) qui définit strictement le crime de viol: "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de 15 ans de réclusion criminelle".

Simple et clair, non? L'agression sexuelle est très différente. Toucher par surprise ou contrainte, par exemple, le sexe d'une femme est tout à fait différente d'une acte de pénétration avec un sexe, un objet, un doigt... Dans le premier cas, c'est un simple délit. Dans le second, c'est un viol.

Et pourtant notre habitant de Tourcoing cité plus haut est bien un violeur, il y a bien eu acte de pénétration. La victime le déclare, le prévenu l'a avoué. Comment les magistrats peuvent transformer un crime en simple délit? Simple: les cours d'assises sont surchargées et, actuellement, les viols dans la majorité des cas sont considérés comme de simples délits. Si on ne transformait pas les viols en agressions sexuelles, au mépris de la réalité, les cours d'assises seraient engorgées. Les féministes des années soixante-dix auraient été bien surprises si on leur avait dit que la volonté du législateur serait tournée ainsi.

Les magistrats, quand on leur dit que c'est tout de même un peu violent de procéder ainsi, soupirent: pas de places suffisantes aux assises et, de toutes façons, ces "correctionnalisations" des crimes se déroulent avec l'accord des victimes. En fait, même cette dernière assertion est contestable. D'abord, de nombreux viols concernent des enfants traumatisés par le comportement criminel d'un adulte, souvent un proche. Comment peut-on parler d'accord de la victime dans ce cas? Ce sont des enfants...

Et même pour cet habitant de Tourcoing, même si sa victime est une jeune femme de 22 ans, comment peut-on parler là-aussi d'accord de la victime? On l'imagine blessée, désemparée, traumatisée. Comment peut-il donner un accord éclairé, chiffrer son préjudice, se tenir face à son agresseur qui l'a violée quelques jours auparavant?

D'ailleurs, vendredi soir, la présidente Anne Beauvais a refusé de juger en comparution immédiate et a renvoyé l'affaire devant un juge d'instruction: la victime n'avait pas été avisée dans les formes, il n'y avait aucune expertise médicale ou psychiatrique dans le dossier, ni de la victime, ni de l'agresseur... Misère de notre justice qui n'arrive pas à juger correctement les crimes.

Didier Specq

Commentaires

Bonjour , Toujours bon à rappeler ( source :Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) :

La France se situe au 20e rang, au regard du budget public par habitant consacré au système judiciaire en 2006, avec 52€ par habitant, au dernier rang des pays d’Europe occidentale. L’Allemagne en dépense le double (106€), l’Angleterre comme les pays-Bas 99, l’Italie 79.

Écrit par : Bernard 27 | 27/11/2010

Quelle est belle la France de 2010 où on transforme un viol, acte abominable en soi, en une simple agression....juste pour désengorger les Assises....
Question : si la victime du viol était une fille de notable, d'élus ou d'industriel la décision des juges aurait été la même??
La réponse est évidente et la triste morale de cette histoire aussi : selon que vous serez puissant ou misérable...

Écrit par : eliot | 30/11/2010

Cher Eliot,

Votre remarque sur les filles et fils de notables, élus ou industriels n'est peut-être pas tout à fait exacte. Le taux de "correctionnalisation" des affaires est tellement énorme (largement plus de la majorité) que cela touche tout le monde.

Didier Specq

Écrit par : didier specq | 01/12/2010

"Elle est belle la France !"... C'est un blog juridique ou le café du Commerce ? Cher Eliot, quand on pose une question et qu'on insinue que la réponse est évidente, on fait un petit effort d'argumentation, on cite des exemples. Quand Didier Specq parle de correctionnalisation des viols, il parle d'expérience, en tant qu'observateur de la vie des tribunaux depuis de nombreuses années. Mais vous ?

Écrit par : Darth Vader | 04/12/2010

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