08/12/2010
Une nouveauté pas si nouvelle que ça
Je ne sais plus quel philosophe radical (peut-être Arthur Schopenhauer) assurait que, lorsqu'on qualifiait quelque chose de nouveau, c'est qu'on avait mauvaise mémoire. Ainsi, récemment, nous expliquions que, pour la première fois, la Cour d'Assises de Saint-Omer avait motivé sa décision. Eh bien, ce n'est pas tout à fait exact. Nous avions mauvaise mémoire.
Il faut se rappeler le 5 juillet 2002. La Cour d'Assises de Douai examine une affaire très disputée. En effet, tard dans la nuit, en avril 2000 à Lille-Sud, des policiers interviennent sur une histoire de voiture volée. La scène est mal éclairée, les policiers s'approchent par l'arrière d'une Opel Corsa présumée volée, l'auto stationnée est occupée par deux hommes installés à l'avant. L'inconnu côté conducteur va être interpellé et menotté sans problème. Mais, côté passager, c'est le drame: l'homme installé sur le siège passager fait un mouvement brusque, se saisit de quelque chose et Stéphane A., le policier âgé de 30 ans, tire. Une balle de très près dans la nuque. Riad H., qui n'était pas armé et se saisissait en réalité d'une cannette, meurt. "J'ai eu peur": explique le policier.
On le poursuit pour homicide volontaire. Mais, aux assises, malgré l'accusation qui réclame plusieurs années de réclusion, les jurés rendent un verdict très différent. Pour eux, le coup de feu n'a pas été volontaire. Le policier, fatigué, ayant peur, ayant laissé son doigt sur la queue de détente de son pistolet, a tiré involontairement. Le verdict ne parle donc plus que d'un homicide involontaire et de trois années de prison avec sursis.
Le président Michel Gasteau, étant donné la tension qui règne et l'émeute qui se profile à Lille-Sud, lit alors un texte explicatif: on y parle de maladresse, d'imprudence et d'un geste de panique; on y explique que le tir est dû à un état de panique consécutif à un sentiment de menaces en réalité inexistantes; on y ajoute que la mort de Riad H. n'est pas le résultat d'une volonté délibérée de tuer; on y conclut qu'une nouvelle incarcération ne serait utile ni à la société, ni aux victimes...
Cet exposé des motivations de la décision des jurés ne sera pas mis en cause, au contraire, ni par les commentateurs, ni par la Cour de Cassation.
Le mercredi 24 novembre dernier, le président Dominique Schaffhauser, en motivant la décision d'acquittement de la Cour d'Assises de Saint-Omer, n'a donc pas été totalement le porte-parole d'une "première" historique. Ceci dit, c'est très important pour au moins deux raisons.
D'abord, il s'agit de se mettre en conformité avec les recommandations de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. La CEDH estime en effet que tous les jugements doivent être motivés pour éclairer le justiciable.
Ensuite, les jurés de Saint-Omer, en répondant à 14 questions précises leur permettant d'expliquer pourquoi ils n'étaient pas convaincus de la thèse de la culpabilité de l'accusée, ont prouvé qu'on pouvait très bien motiver des jugements même quand les magistrats ne sont pas tous professionnels. Donc, les jurés populaires en correctionnelle, c'est possible.
23:39 | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Cher Didier Specq,
Quoique vous, qui me lisez et commentez chez Eolas, eussiez raisonnablement pu attendre de ma part une contribution sur le fond de votre billet, vous tolèrerez que que je m'arrête à l'incipit, comme on dit pédantement en latin, concernant cette mauvaise mémoire synonyme de nouveauté.
Je n'ai pas relu tout Schopenhauer, mais je me suis souvenu de mon Friedrich Nietzsche :
L’avantage de la mauvaise mémoire est qu’on jouit plusieurs fois des mêmes choses pour la première fois.
extrait de : Humain, trop humain
bien à vous,
Sub lege libertas
Écrit par : Sub lege libertas | 09/12/2010
Pour en venir au fond,
Les jurés populaires en correctionelle s'est possible, dites vous.
Oui, le procureur que je suis vous approuve, car il sait aussi que cela obligera le tribunal à répondre à un questionnaire précis en fait et en droit, établi contradictoirement à l'issu des débats, avant son délibéré, plutôt que d'attendre une éventuelle motivation a posteriori si l'une des parties a l'outrecuidance de faire appel de la décision. La réalité est là : le règne absolu de l'intime conviction, c'est la correctionnelle.
Croyez vous que je sache pourquoi mes juges condamnent, même si je l'ai demandé ? Non. D'ailleurs, je ne comprends pas mieux comment, lorsque de façon argumentée je renonce à l'accusation, je vois le prévenu condamné à une peine, souvent sans rapport avec la réalité du dossier s'il était coupable. Mais un exemple de cela, vous nous l'avez déjà raconté le 3 décembre 2010.
Sll
Écrit par : Sub lege libertas | 09/12/2010
Que voulez-vous que je vous dise? On en est là effectivement: si des jurés en correctionnelle posaient certaines questions, les juges en correctionnelle seraient obligés de répondre raisonnablement en rédigeant effectivement un jugement.
D.S.
Écrit par : didier specq | 09/12/2010
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