16/05/2011
Difficile présomption d'innocence
Dominique Strauss-Kahn vient de redevenir un citoyen comme les autres. Certes avec un retentissement médiatique différent. Mais au fond...
On imagine aisément la course de vitesse entamée dans ce commissariat de Harlem: trouver des éléments matériels pour conforter l'accusation. Un bras de fer car, sauf s'il accepte de se flinguer dans l'opinion, Dominique Strauss-Kahn ne peut en aucun cas "s'arranger" (c'est légal aux USA) avec la justice en admettant une partie des accusations et en acceptant de négocier avec la partie civile et le procureur. C'est tout ou rien, ça passe ou ça casse.
DSK, qui plaide non-coupable, est brusquement redevenu un citoyen normal confronté à une accusation d'agression sexuelle: souvent les preuves matérielles manquent, les témoignages sont indirects (à part celui, évidemment, de la victime), la vie personnelle est mise à sac car tout peut être interprété. DSK, de fait, va probablement devoir faire la preuve de son innocence.
DSK a de la chance: les autorités judiciaires américaines sont indépendantes et ne tiennent pas leur autorité d'un diplôme et d'une nomination. Le procureur, par exemple, ne dépend pas du pouvoir politique aux USA. C'est en même temps une malchance pour ses partisans: il va être difficile d'évoquer une manipulation. DSK est donc bien seul, sans ami à part ses avocats.
On espère que des preuves matérielles suffisantes ont été découvertes par la police pour accréditer la parole de l'un ou de l'autre. Car, comme dans les agressions sexuelles reprochées aux citoyens de base, la parole, si l'on manque d'éléments tangibles, va vite être donnée aux psychiatres et au passé.
Passons sur les analystes des "psy". Reste le passé. Comme pour un citoyen ordinaire, on risque de demander au passé d'accréditer le présent.
On va ressortir ainsi l'histoire de ses relations adultérines avec Piroska Nagi, ancienne responsable du département Afrique du FMI. Aurait-elle bénéficié de faveurs, d'une promotion canapé? C'est l'affaire qui éclate fin 2008. DSK a été blanchi. Toutefois, la justice américaine va sûrement noter que le doyen du conseil d'administration du FMI a parlé "de faits regrettables et reflétant une erreur de jugement". Un juge suspicieux va donc en conclure qu'il ne s'est pas "rien" passé.
D'autant que, lors de la nomination de DSK à la tête du FMI, Jean Quatremer, journaliste à Libération, écrit en 2007: "Le seul vrai problème de Strauss-Kahn, c'est son rapport aux femmes. Trop souvent, il frôle le harcèlement". Le journaliste ajoutait une prédiction: aux USA, ce type de comportement risque de ne pas passer.
En France, le témoignage de Tristane Banon remontera également à la surface. Elle affirme avoir été victime d'une agression sexuelle de la part de DSK en 2002 alors qu'elle était jeune journaliste. Pour ne pas griller sa carrière, et aussi pour des raisons familiales et politiques (sa mère est vice-présidente socialiste du conseil général de l'Eure et conseillère régionale de Haute-Normandie), elle ne dépose pas plainte. Mais l'affaire prétendue est racontée en 2008 et la mère de la jeune femme vient de s'exprimer à ce sujet sur France 3. Evidemment, rien ne prouve que les dires de la jeune femme sont exacts. On peut même trouver très suspectes les attitudes de ces deux femmes. Mais, comme pour le citoyen de base, de tels "précédents" remontent quand on est accusé.
Enfin, pour l'instant, toute la compassion de la classe politique va à DSK. Personne ne parle de la présumée victime, cette femme de ménage âgée de 32 ans. qui vient de reconnaître formellement le suspect DSK dans une parade d'identification. On ne pourra longtemps faire comme si cette dame n'existait pas. Là aussi, comme le citoyen de base, DSK va se retrouver bien seul. Comme dit Bernard Tapie, "il lutte pour sa peau".
Didier Specq
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