27/10/2011
Et si le procureur de Lille avait raison?
Frédéric Févre reçoit une volet de bois vert actuellement. Pourtant...
Depuis longtemps en droit français, la législation est venue conforter les exigences d'impartialité du juge vis-à-vis de ses "clients". Bien sûr, quand les juges connaissent de près des mis en examen, on peut craindre une sympathie excessive mais également une dureté d'autant plus vacharde que les personnes mises en cause figuraient auparavant dans le cercle de sympathie des juges. La loi et la jurisprudence sont très précises. On parle d'impartialité objective et d'impartialité subjective. On insiste même sur les apparences de partialité. Ainsi, un juge, à qui l'on a strictement rien à reprocher, peut être dessaisi parce qu'on pourrait soupçonner une possible proximité ou une possible acrimonie.
La Cour Européenne des Droits de l'Homme est encore plus précise et stricte. Et l'on sait aujourd'hui que la CEDH n'a pas un pouvoir fictif: c'est elle qui a imposé, avant même le vote d'une loi en France, la présence des avocats en garde à vue.
Lorsque Frédéric Févre évoque, dans l'affaire du Carlton, la présence d'un avocat en pointe et d'un responsable policier important "que tous les magistrats connaissent", il énonce une vérité première qui entre tout à fait dans le cadre de la loi. C'est même une évidence. On lui objecte: "Pourquoi ne pas avoir demandé le dessaisissement avant?" C'est une question un peu oiseuse car la justice ne fonctionne pas comme les trains à la SNCF. Un TGV doit partir à 15 h 37 de la gare de Lille-Europe tandis qu'une décision d'un magistrat est le fruit d'une évaluation humaine qui peut prendre plusieurs jours.
Il n'est pas interdit aussi d'opérer un peu de justice-fiction. Anticipons. Imaginons qu'un jour un gros poisson (politique par exemple) se retrouve mis en examen avec une accusation particulièrement infamante. Dans deux ou trois ans, on va donc se retrouver dans un énorme procès médiatiquement très suivi.
Le gros poisson évoqué, accompagné d'une petite troupe d'avocats parisiens surpayés, va arriver dans la salle d'audience. Il n'ouvrira pas la bouche. D'entrée de jeu, les avocats en question, chevronnés et bardés de décoration, peut-être anciens ministres pour certains voire ex-responsables d'associations défendant les droits de l'homme, vont soulever, sous les yeux de la presse ébahie, une objection de taille: la justice lilloise a manqué de sérénité car elle connaissait parfaitement des protagonistes importants, des avocats de présumés lampistes ont expliqué tout de suite en octobre 2011 que les gros poissons allaient frétiller ensuite dans la ligne de mire des juges d'instruction lillois, bref tout ça sent le réglement de comptes local orchestré par des gens bien implantés dans la vie régionale. Voilà le raisonnement qui sera tenu. On voit d'ici les plaidoiries outragées appuyées par des monceaux de jurisprudence européenne! Bref, une ambiance genre procès Chirac.
Notons d'ailleurs qu'à Lille, les juges lillois menacés par le dessaisissement n'ont pas reçu un soutien si unanime que ça. Des avocats se taisent et d'autres parlent déjà. Ainsi, Me Julien Neveux, avocat du policier, a indiqué qu'il se bornait à prendre acte de la démarche du procureur de Lille et qu'il ferait la démonstration de l'innocence de son client devant n'importe quelle juridiction, dessaisie ou pas.
La thèse de la volonté d'enterrement de l'affaire est donc peut-être totalement fausse. En revanche, la thèse d'un procureur de Lille qui protège le devenir d'une procédure désormais fragilisée à Lille est tout à fait recevable. Qui vivra verra.
Didier Specq
09:16 | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
D. Speck, encore en avance d'un jour sur tout le monde.
Écrit par : aballain | 27/10/2011
Confusion n'est pas raison.
Après plusieurs mois d'enquête sur des faits susceptibles d'être qualifiés de proxénétisme aggravé, Monsieur le Procureur de la République de LILLE a sollicité le dessaisissement des juges d'instruction en charge de l'information judiciaire ouverte au sein dudit tribunal.
Cette démarche ne manque pas de surprende pour qui se souvient qu'il y a un mois à peine, l'auteur de la requête en dessaisissement déclarait, par voie de presse, vouloir lutter contre le proxénétisme en ces termes : "L'autre aspect, c'est la lutte contre le proxénétisme. Sur le quartier du Vieux-Lille, on a les réseaux et les "julots casse-croûte", des hommes qui font travailler leurs femmes. Le SRPJ travaille dessus, et d'ici quelques mois, on aura des choses intéressantes qui sortiront. Il ne faut pas pénaliser la misère humaine. Je veux attaquer le problème à sa source." (Nord Eclair du 01/10/2011). Affirmer vouloir lutter contre le proxénétisme et dans le même temps dessaisir les magistrats en charge d'une information judiciaire sur de tels faits est source de confusion dans la mise en oeuvre de la politique pénale.
Pour tenter de dissiper la confusion et justifier la démarche, il est fait état d'un impératif d'impartialité (objective ou subjective) et de l'oeil de Strasbourg : en raison des fonctions exercées par deux des personnes mises en examen, l'impartialité des magistrats instructeurs serait remise en cause et commanderait - sous peine d'être sanctionné par la Cour européenne - le dessaisissement des juges d'instruction.
Mais que l'on sache : les personnes mises en examen dont les fonctions exercées sont avancées pour tenter de justifier la demande de dessaisissement n'ont rien demandé ! Aucun d'eux n'a, semble-t-il mis en cause l'impartialité des magistrats instructeurs. Ainsi, Monsieur le Procureur de la République serait mieux placé pour apprécier la partialité alléguée des juges d'instruction que les "victimes" du manque d'impartialité elles-mêmes ? Voilà qui est difficilement compréhensible. La confusion demeure...
Elle persiste d'autant plus si l'on ajoute que le magistrat instructeur menant l'enquête n'est en poste au sein du Tribunal de grande instance de LILLE que depuis un an à peine ("Stéphanie AUSBART, la juge qui ébranle le tout Lille" Nord Eclair du 29/10/2011). Combien de fois, depuis cette date, dans un dossier d'information, ce magistrat instructeur a-t-il été amenée à "cotoyer" les deux personnes dont la mise en examen aurait motivé la démarche du parquet ? On l'ignore tant cela n'a semble-t-il pas été un élément vérifié avant de mettre en cause l'impartialité du magistrat !
C'est alors que l'on invoque la "justice-fiction". Le manque d'impartialité des magistrats instructeurs pourrait être dénoncé lors de l'audience de jugement à l'issue de l'information judiciaire par les "ténors" parisiens chargés de la défense d'un "gros poisson" dont les trois lettres constituant les initiales de ses nom et prénom ont provoqué une sorte d'hystérie médiatique dans les jours ayant précédé la demande de dessaisissement.
Loin de dissiper la confusion, la "justice-fiction" ajoute encore à la confusion !
En effet, autant que l'on sache le "gros poisson" n'exerce aucune fonction semblable à celle des deux personnes mises en examen. Il ne s'est donc créée antérieurement aucune proximité entre ce "gros poisson" et le magistrat instructeur dont l'impartialité est aujourd'hui mise en cause. A son égard, le "gros poisson" ne peut dès lors alléguer en l'état un manque d'impartialité des magistrats à son égard.
Si le "gros poisson" ne peut se prévaloir d'un manque d'impartialité à son égard, à l'égard de qui peut-il se prévaloir d'un manque d'impartialité si ce n'est à l'égard des deux personnes mises en examen évoquées par Monsieur le Procureur de la République ? Mais dans ce cas, n'aboutit-on pas à cette surprenante conclusions que, comme Monsieur le Procureur de la République, le "gros poisson" serait mieux placé pour apprécier la partialité alléguée des juges d'instruction que les "victimes" du manque d'impartialité elles-mêmes qui, rappelons-le, sauf erreur ou omission, n'ont rien demandé ou dénoncé !
Non, décidément, la démarche de Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de LILLE tant dans son principe que dans sa motivation est incontestablement source de confusion.
Et confusion n'étant pas raison, il est difficilement permis de répondre par l'affirmative à cette interrogation : "Et si le procureur de Lille avait raison ?"
Écrit par : laporte | 30/10/2011
un plaisir de rhetorique et de dialectique.. que ce texte signé laporte !
Écrit par : Odeladeûle | 04/11/2011
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