07/11/2011

Carlton: les victimes s'invitent

carlton x.jpegUne prostituée a déposé plainte. Puis une autre, puis sans doute encore une autre. Des associations vont sans doute aussi se constituer parties civiles. Un tournant dans le dossier?


L'arrivée des victimes dans ce dossier de "proxénétisme en bande organisée" risque de changer la donne. Jusqu'ici, le dossier ressemble à une affaire bien huilée: un volet belge et un versant français, un présumé proxénétisme hôtelier qui débouche sur des parties fines remboursées par une filiale d'un groupe national de travaux publics, des présumés complicités chez un avocat lillois et un policier de premier plan, l'inévitable Dominique Strauss-Khan qui participe à la "fête" en Belgique, à Lille, à Paris et aux USA. Bref du croustillant qui jette certes une lumière crue sur une certaine bourgeoisie. Mais, au fond, une histoire et un scandale dans la norme.

Les victimes (qui se constituent parties civiles) rendent à ce dossier sa véritable dimension: une chaîne d'exploitation à des fins commerciales du corps des femmes. Et l'on sent bien tout de même que l'existence présumée de ce réseau était connu depuis des mois, au moins depuis le printemps 2011.

La juge d'instruction Stéphanie Ausbart a-t-elle été trop loin? Tout indique que la magistrate lilloise s'avance sur un terrain miné. La juge d'instruction n'a certes pas froid aux yeux: quand la magistrate met en examen pour proxénétisme le policier Jean-Christophe Lagarde, chef de la sûreté départementale, elle veut le placer en détention provisoire. Le procureur s'y oppose, le juge de la liberté et de la détention sera saisi malgré tout par la juge mais le JLD s'opposera également à l'incarcération.

Simultanément, le procureur de Lille demande le dessaisissement des magistrats instructeurs lillois Stéphanie Ausbard et Mathieu Vignau (ce dernier s'occupe du volet financier du dossier). On apprendra quelques jours plus tard que le parquet général de Douai a transmis le dossier à la Cour de Cassation. Laquelle examinera ce dépaysement possible du dossier ce mercredi 9 novembre. Parallèlement, à Lille, une troisième juge d'instruction, Ida Chafaï, rejoint le "pool" des magistrats instructeurs lillois en charge de ce dossier sulfureux.

C'est donc bien d'un bras de fer qu'il s'agit.

D'une part, l'accusation craint -comme le souligne explicitement le procureur Frédéric Fèvre- un soupçon de partialité qui péserait sur les magistrats lillois qui connaissent trop bien le policier de premier plan et un avocat local de renom. Mais la volonté du procureur, c'est celle du procureur général, c'est celle aussi du ministère dont l'accusation dépend organiquement. En face, les juges veulent continuer à instruire, une troisième juge d'instruction les a même rejoint.

Peut-être faut-il aussi penser que l'affaire, à Lille, est devenue incontrôlable à partir du moment où des policiers de haut niveau risquent d'être mis en cause. On comprend bien la logique première du dossier: des présumés proxénètes lillois, dans l'hôtellerie et dans le bâtiment, auraient organisé un trafic de prostituées et quelques uns parmi eux auraient dirigé certaines d'entre elles vers les USA et DSK.
Mais les magistrats instructeurs lillois s'interrogent-ils désormais sur le rôle de certains policiers dans une affaire politiquement très sensible?

Une interrogation qui peut être relayée par l'arrivée physique, et non plus théorique, des parties civiles dans le dossier. La théorie du complot risque également revenir en force: est-il possible que ce trafic d'êtres humains ait perduré pour, en mélangeant les prostituées et les femmes libertines, abattre DSK quand tous les sondages l'annonçaient comme le futur vainqueur des présidentielles?

Didier Specq

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