24/12/2011

A quoi occupe-t-on la police?

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C'est l'histoire d'une querelle pour une place de parking de supermarché à la veille de Noël.

Cette histoire de place de parking est racontée ici par Nord Eclair. Bien sûr, ce n'est pas vraiment le parking d'Auchan-Roncq, près de Tourcoing, qui nous intéresse. Signalons tout de même pour les historiens que c'est le premier vrai supermarché français: le groupe Auchan est né non loin de là dans le quartier des Hauts-Champs à Roubaix, mais le premier emplacement roubaisien était trop petit pour recevoir une vraie grande surface. Laquelle arrive donc à Roncq dans les années soixante.

Tout ça pour dire que cette histoire montre l'énorme pouvoir dont dispose le procureur de la République. Ici, au départ, ce sont deux automobilistes qui s'invectivent pour une place de parking. D'un côté, un jeune homme de 29 ans, étranger, Ebrahim S., demeurant à Halluin. De l'autre côté, une adjointe au maire d'Halluin (près de Roncq) qui semble le connaître.

Toujours est-il que l'altercation (c'est le jeune homme qui cède finalement la place à l'adjointe) se solde par des injures et un doigt d'honneur. Pas de témoin. Le jeune homme dit qu'il a été injurié tout autant. L'adjointe ne dit pas qu'elle a été injuriée en tant qu'adjointe ou que sa fonction municipale a été mentionnée par l'auteur présumé des injures. De toutes façons, le jeune homme avoue le doigt d'honneur.

Tous ceux qui sont pour l'indépendance du procureur devraient méditer la suite. L'adjointe dépose une plainte, le jeune homme est arrêté, placé en garde à vue. Dès le début de la garde à vue, légalement, le substitut du procureur de permanence est averti. C'est donc lui qui autorise la garde à vue du jeune homme alors qu'une injure de ce type (pas de menaces de mort, pas d'outrages à la fonction d'adjoint, etc) n'est à l'évidence qu'une très modeste contravention.

Inutile de dire qu'il est difficile de croire qu'un commissariat prendrait au sérieux une telle plainte si elle émanait d'un citoyen lambda: les policiers ont d'autres chats à fouetter.

Eh bien, ici, on prend cette affaire très au sérieux et on colle 48h en garde à vue le jeune homme. A l'audience, la procureure demande cinq mois de prison ferme contre ce qu'il est convenu d'appeler le jeune de banlieue! Cinq mois assortis d'un mandat de dépôt! Là, on se pose la question de l'exécution réelle de la peine.

Pour la procureure, il s'agit d'un outrage à adjoint au maire, un élu, une personne aussi bien protégée que les magistrats ou les policiers. Léger détail: l'adjointe en question faisait ses courses et n'était pas du tout occupée, ni de près, ni de loin, à ses fonctions officielles; le jeune homme (qui a dit ignorer qu'elle était adjointe) n'est même pas accusé par sa présumée victime d'avoir parlé de ses fonctions municipales.

Après avoir écouté la plaidoirie scandalisée de Me Jessy Lelong, le président Hoc Pheng Chhay a prononcé un jugement courageux, très peu en rapport avec les réquisitions étonnantes du parquet: 38 euros d'amende pour injures non publiques.

Quelle conclusion? Se méfier des procureurs qui seraient totalement indépendants et auraient le libre choix de l'opportunité des poursuites (au moins les procureurs actuels doivent rendre compte au pouvoir politique de leurs orientations répressives même si c'est a posteriori et pas dans le détail). Se méfier aussi de tous ceux qui prônent la justice de proximité car les pouvoirs locaux pourraient s'en emparer. Mieux vaut parfois un pouvoir éloigné.

Me Jessy Lelong, dans cette affaire, se demandait publiquement s'il n'y avait pas eu une intervention politique. C'est totalement invraisemblable.

Didier Specq

Commentaires

quelle édifiante histoire... je la relaie. Si on avait le nom de cette adjointe au maire, ce serait encore mieux : je l'aurais clouée au pilori... en bon Robespierre que je suis un peu aussi...

Écrit par : GdeC | 27/12/2011

C'est pas Edouard Leclerc qui a ouvert le premier supermarché à Landerneau ?

(je dis ça parce que le reste de l'article est d'un lieu commun.. tous les jours des proc' se déchaïnent sur de pauvres gens)

Écrit par : l'Ours | 27/12/2011

"un jeune homme de 29 ans, étranger, Ebrahim S" Juste pour dire ça sert à rien de préciser étranger même si je sais que que y'a pas de mauvaises pensée derrière, un jeune homme de 29 ans Ebrahim S ça suffit surtout que si il est pas avéré qu'il est étranger ça apporte rien en plus d'être faux. Je fais l'emmerdeur parce que le jeune Homme aurait pu s'appeler François Jean et être étranger, belge par exemple et cela n'apporterai rien de plus non plus.

Écrit par : Ramon Romuald | 27/12/2011

CHEZ LUI ,dans "son" pays cet insolent et vulgaire etranger aurait eté "sacqué "...

Écrit par : MAZIERE | 27/12/2011

@maziere ; je m'attendais à ce genres de commentaires au vu d'un prénom pas de chgez nous... ça devait fatalement attirer la bêtise des trolls frontites comme la merde les mouches...

Écrit par : gdec | 27/12/2011

« Se méfier des procureurs qui seraient totalement indépendants »
Je ne comprends absolument pas la conclusion. Je ne vois pas le risque, ici, d'une indépendance totale de la justice.

Si je sais lire, c'est le parquet qu'y a demandé 5 mois et le juge qui a statué sur 38 € d'amendes. Le parquet, c'est le ministère public, j'y vois plus une preuve du lien entre la justice et l'autorité public. Ce syllogisme devrait vous suffire à revoir vos conclusions.

Je suis demandeur de précisions sur vos conclusions, sur votre pensée et vos argumentations, pour savoir ce qui vous a amené à cette réflexion.

Écrit par : Francois | 27/12/2011

@François : Attention, "parquet = ministère public", oui, mais la justice comprend aussi le siège qui lui est (plus) indépendant (que le parquet).

Pour faire vite, la magistrature est divisée en deux corps : les procureurs (le parquet) d'un côté, les juges (le siège) de l'autre. Les procureurs sont nommés par le ministère de la justice (donc l'exécutif), les juges sont nommés par le CSM (indépendance, contrôle interne du corps).
Tout cela reste très grossier et imprécis : se référer à Wikipedia pour plus de détails : http://fr.wikipedia.org/wiki/Magistrat_(France)

Écrit par : Sam | 27/12/2011

Merci de vos précisions, mais cela n'a pas ou peu avoir avec ma question.

L'article conclue : « Se méfier des procureurs qui seraient totalement indépendants », or ce n'est pas la non-indépendance du parquet (qui préconisait 5 mois) qui a fait aboutir l'affaire sur le verdict « raisonnable » d'une amende de 38 €.
Ici je ne demande pas des précisions sur la nature du parquet (ou du siège) mais sur les raisons qui poussent l'auteur de l'article à conclure de la sorte. De même je ne vois pas ici de problème de proximité... La matière de l'article présente bel et bien l'impartialité du parquet dans l'affaire.
La question n'est pas tant de savoir si le tribunal est, ou non, dans la ville où est jugée l'homme, mais plutôt pourquoi une telle affection du parquet à l'adjointe de la mairie, ou plutôt à cette citoyenne ordinaire.

Mes questions ne concernent uniquement l'article et la conclusion de l'auteur, rien d'autre.

Écrit par : Francois | 28/12/2011

Si je dois y lire là de l'ironie, du sarcasme, dans ce cas je comprendrais beaucoup mieux.

Écrit par : Francois | 28/12/2011

La conclusion sur la question de l'indépendance du procureur me semble complètement à côté de la plaque. Justement, CE procureur là ne l'était pas, indépendant. Même s'il n'a pas, directement, reçu de consignes, on voit bien qu'il est dans l'ambiance actuelle du pouvoir central, pas de pitié pour les gueux. On peut également s'interroger sur ses liens (en l'absence de toute consigne directe) avec le pouvoir local.

Ce qu'il nous faut chérir et défendre, c'est l'indépendance de la justice en général. Je ne vois pas en quoi garder des procureurs complètement dépendants du pouvoir central nous garantirait l'indépendance de la justice.

Écrit par : cultive ton jardin | 28/12/2011

Cher François,

Pour dissiper les malentendus, je parle bien des procureurs qui, comme vous le savez, ont pour fonction de poursuivre et d'accuser. Je ne parlais pas dans ma conclusion des juges qui, effectivement, doivent être totalement indépendants.

Le procureur possède en France l'opportunité des poursuites. Autrement dit, tout n'est pas poursuivi. Si quelqu'un vous injurie sur un parking, si d'aventure vous portez plainte, votre plainte serait sans doute classée sans suite. Motif: pas assez important, tribunaux encombrés, policiers qui ont autre chose de plus urgent à faire, etc.

Mais cette opportunité des poursuites ne s'arrête pas là. Le procureur va envoyer l'affaire vers la comparution immédiate (gros risque de prison immédiat) ou en faire une simple convocation par procès-verbal pour dans deux ou trois mois (faible risque de prison), ouvrir une instruction s'il considère que l'affaire est importante et complexe, qualifier de crime ou non une affaire, etc, etc... C'est un pouvoir énorme.

Prenons un exemple très, très courant. Vous êtes tenancier d'un café-tabac et, un soir, un inconnu vous braque en brandissant un couteau. Il emporte la caisse, il vous a frappé mais pas trop gravement, 300 euros ont été dérobés. A Lille, il y a de fortes chances que ce soit une comparution immédiate. Vous êtes pharmacien et vous avez eu un cutter sur la carotide pour vous obliger à céder des médicaments et de l'argent à un toxicomane. A Lille, ce sera peut-être une instruction si c'est complexe mais votre dossier sera correctionnalisé. Autrement dit, d'un coup de baguette magique, le vol avec arme (un crime passible des assises) sera transformé en vol avec violences (simple correctionnelle). En revanche, le braquage d'une banque sans aucun blessé (peut-être pas plus dangereux pour le guichetier que le cutter sur la carotide du pharmacien) a toutes les chances de passer aux assises.

Tout ça, c'est le pouvoir du procureur. Et c'est contrôlé a posteriori de façon très lointaine par le pouvoir politique.

Une question se pose alors: est-ce que ça ne serait pas encore pire si les procureurs (parce qu'ils ont eu avec brio dans leur jeunesse un concours) étaient indépendants pour la vie, eux et leurs collègues?

Quel contrôle ont les citoyens sur la politique pénale réelle, au quotidien? Ne faudrait-il pas se poser la question de leur élection, par exemple? Ou d'une commission de citoyens élus, par exemple sur le plan départemental, à qui il faudrait rendre des comptes?

Pour finir, je souligne que je n'ai pas d'opinions très précises sur la question. Mais je suis très étonné que la question ne soit presque jamais posée.

Didier Specq

Écrit par : didier specq | 28/12/2011

Cher Ramon Romuald,

Si j'ai signalé dans mon article que le jeune homme était étranger c'est parce que lui-même a insisté sur ce point le jour du procès. En effet, il a expliqué qu'on ne le croyait pas quand il disait ignorer la fonction d'adjointe de la plaignante alors que lui-même n'a pas le droit de voter aux élections locales. Il en concluait donc qu'il était assez normal qu'il ne s'intéresse pas aux détails de la vie politique locale et aux fonctions exactes des uns et des autres.

D.S.

Écrit par : didier specq | 28/12/2011

Ce problème est plus les conséquences du délit d'outrage et de diffamation voire de la protection exagéré des fonctionnaires et des élues que du problème de l'indépendance du parquet

Si le jeune a fait un doigt d'honneur c'est sans doute qu'il a été provoqué par l'adjointe. Je ne pense pas que quelqu'un âgé de 28 ans s'amuserait à faire des doigts d'honneurs par plaisir (à moins d'être dérangé)

C'est la protection d'une catégorie de personne pour des motifs ubuesques qui font que ces personnes protégés, parfois, se permettent des choses qu'ils n'autoriseront à personne d'autres.

Écrit par : Atila59 | 28/12/2011

pareil que François, je ne comprends pas les conclusions. Bien que Maitre Eolas est d'accord avec cet article. a l'aide, please.

Écrit par : JYves | 29/12/2011

@JYves

Je me suis peut-être mal exprimé. Mon propos, à la fin de l'article, c'est de mettre en doute une idée reçue: les procureurs devraient être indépendants.

A l'heure actuelle, ils dépendent du pouvoir politique qui les contrôle de loin et a posteriori. Or, étant donné l'énorme pouvoir des procureurs (celui de poursuivre ou de ne pas poursuivre par exemple), je trouve que les procureurs devraient être contrôlés de plus près. Comment? Par des commissions départementales de citoyens élus par exemple. Ou les procureurs des gros tribunaux devraient peut-être être élus. Voilà, je m'étonne que cette question ne soit jamais posée sérieusement.
Des procureurs totalement indépendants (qui feraient donc ce qu'ils veulent sans aucun contrôle), ça serait pire que le système actuel où ils sont tout de même contrôlés de loin et a postériori. Voilà ce que j'essayais de signaler.

Par ailleurs, en ce qui concerne les juges (qui, eux, doivent être totalement indépendants), je signalais (contrairement là-aussi à une idée répandue) qu'il ne faut pas qu'ils soient trop de proximité sinon ils risqueraient d'être trop proches des pouvoirs locaux. C'est d'ailleurs pour ça qu'on a supprimé les juges de paix qui existaient au début du siècle dernier: ils étaient trop en connivence avec les notables locaux.

Voilà les deux points que j'essayais de soulever. Je vous remercie de vos interventions amicales.

Didier Specq

Écrit par : didier specq | 29/12/2011

@Didier Specq :
Je vous remercie pour ces précisions. Je n'avais pas saisi l'ensemble de votre propos. Je ne regrette absolument de les [les précisions] avoir réclamer et je comprends donc les craintes que vous formulez sous forme de questions. N'ayant pour ma part jamais regardé le statut des procureurs avec ce point de vue, je ne me suis jamais posé la question de leur contrôle. Aussi je ne les pensais pas jouir d'une telle indépendance quant à l'initiative des procédures, quelle soit sur une simple plainte ou un crime. J'accuse une faiblesse de culture sur la question.

Il est certain que l'indépendance de la justice des hommes est un sujet complexe. Monsieur, à cause de votre article, je suis frustré de mon incompétence sur la question et vais corriger mon manque de culture sur la question « justice » à l'avenir. Je ne vous remercie pas ! (un peu de mauvaise foi pour cette nouvelle année ne fait pas de mal)

Écrit par : Francois | 01/01/2012

@ Didier Specq :

comme beaucoup de vos lecteurs, je ne comprenais pas en quoi cette affaire illustrait les bienfaits d'un contrôle du parquet par le pouvoir politique. En effet, dans cette histoire, c'est le juge, indépendant, qui semble avoir gardé la raison, quand le parquet a "pété les plombs".

Vos précisions m'ont rassuré sur votre état d'esprit. Qu'il faille un contrôle du parquet, comme pour tout pouvoir, c'est une évidence. Qu'il soit exercé par le pouvoir exécutif est plus contestable.

Sur les juges de proximité, nous sommes d'accord.

Bonne année !

Écrit par : Darth Vader | 03/01/2012

"A l'heure actuelle, [les procureurs] dépendent du pouvoir politique qui les contrôle de loin et a posteriori."

Sauf à Paris ou Versailles, quand de grosses enquêtes mettent en cause des amis du pouvoir en place; alors le pouvoir politique se rapproche beaucoup ;) ... et le contrôle a lieu "en direct" (en temps réel, pas a posteriori).

Dans cette affaire, il y a plusieurs possibilités:
1- la procureure agit "seule", et de sa propre conviction estime que c'est une occasion de débarrasser la voie publique d'un dangereux élément hétérogène, "titulaire de deux condamnations avec sursis" (apparemment les insultes ne suffisent pas à révoquer le sursis), qui "sue la violence par tous les pores", (ces effluves de violence devaient monter aux narines du tribunal).

Il me semble que ses convictions lui font dépasser la mesure, et qu'alors elle devrait être contrôlée de près, et en direct...

2- la procureure agit sous pression amicale de la victime (une notable) et de ses soutiens.

Il me semble alors que ce ne sont pas les pouvoirs politiques locaux qui devraient la contrôler....

3- la procureure agit sous pression amicale de ses voisins, de sa crémière, d'une ambiance générale ras-le-bol xénophobe, de l'électorat frontiste grandissant, que sais-je

Méfiant envers les _à-côté_ des élections (mensonges, campagne de pub, démagogie et promesses abusives), cela me conforte donc contre l'élection des procureurs.

Les autres possibilités?
La commission départementale me séduit plus (elle rassemblerait des gens qui s'intéresse au fond). J'envisage une troisième possibilité; que les juges puissent êtres saisis en amont (une rapide audience préliminaire? Qu'un juge puisse être saisi ou s'autosaisir pour obtenir une comparution immédiate?) pour pouvoir "casser" des qualifications abusives.

Merci enfin M. Specq pour vos éclairages. Comme votre avant-dernier paragraphe est sujet à incompréhension, je vous invite à profiter des possibilités du blog pour le rééditer :) (avec une grosse mention [EDIT] cela devrait passer)

Écrit par : Rappar | 05/01/2012

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