30/12/2011

La mémoire mise en lois

phpThumb_generated_thumbnailjpg.jpg

Le 22 décembre, l'Assemblée Nationale a beaucoup parlé (indirectement) de l'Arménie.

Indirectement car la loi votée le 22 décembre est un texte qui pénalise globalement la négation des génocides reconnus par la loi française. Mais, en clair, il s'agit de condamner ceux qui mettraient en doute le génocide subi par les Arméniens en Turquie en 1915. D'ailleurs, il suffit de consulter le compte-rendu des débats à l'assemblée pour constater qu'il était bien question presque uniquement de la Turquie et de l'Arménie. Pour être complet, il faut signaler que déjà, en 2001, le parlement français avait voté une loi purement symbolique qui reconnaissait le génocide des Arméniens en 1915. Cependant, la loi de 2001 était considérée comme insuffisante par les associations de défense des Arméniens.

Il ne s'agit pas ici de discuter du bien-fondé de cette loi même si bien sûr des conséquences sont discernables à court terme.

Plus simplement, depuis la loi Gayssot sur le génocide subi par les Juifs, on peut se demander où les lois encadrant la mémoire doivent s'arrêter.

Noël Mamère, le député écolo de Bègles, estime que le génocide commis au Rwanda devrait aussi bénéficier d'une loi. Maxime Gremetz, le député communiste de la Somme, estime que la même chose devrait être votée pour les Tziganes exterminés par les Nazis. Un député de l'ouest de la France verrait bien une telle loi concernant la répression sauvage des Vendéens royalistes pendant la Convention. Quant à Christian Vanneste, le député UMP de Tourcoing, il souligne qu'on devrait qualifier officiellement de génocide le comportement des Soviétiques face aux Ukrainiens dans les années 1920. Inutile de dire que chacune de ces opinions est respectable et justifiée.

La loi adoptée par l'Assemblée Nationale est d'ailleurs moins claire et moins évidente qu'on ne le croit. Comme elle trempe dans l'histoire, elle en adopte les mêmes contours parfois indécis. Ainsi, on comprend bien la condamnation de "la négation et de l'apologie" d'un génocide. Mais, la "banalisation grossière" est condamnée également.

Ce sont tout de même des termes étranges pour un texte législatif. Que signifie "banalisation grossière" exactement? Des historiens pourraient prétendre par exemple que le massacre des Arméniens doit s'analyser aussi comme un acte de guerre: les Arméniens (chrétiens) était soupçonnée de vouloir se solidariser avec la Russie (chrétienne en 1915) qui était engagée avec la France contre l'Allemagne alliée des Turcs. Est-ce une banalisation grossière?

Les mêmes imprécisions historiques existent par exemple dans la loi Taubira considérant que l'esclavage est un crime contre l'humanité.

Voici l'article premier de cette loi votée en 2001: "la République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVème siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité". On se frotte les yeux! Force est de constater que l'esclavage subi, entre autres, par les Blancs (qui ont été capturés pour servir d'esclaves dans l'empire ottoman ou à Alger qui a vécu longtemps du commerce des esclaves) n'est pas cité. De même que la loi Taubira oublie la traite négrière organisée à travers le Sahara dans tout l'espace arabo-musulman. Or, cette dernière traite concerne également des millions d'individus et a duré fort longtemps (il suffit de lire Terre des Hommes de Saint-Exupéry pour s'en convaincre).

Christiane Taubira a expliqué que ces manques étaient voulus: il s'agissait de ne pas dresser les communautés les unes contre les autres. Intention louable certes. Mais peut-on découper un génocide, l'esclavage, un crime contre l'humanité en tranches, le reconnaître ici et pas là? On n'a pas fini d'en débattre.

Didier Specq

Commentaires

Conclusion de tout cela (à la manière de Didier Specq) : en un mot comme en cent, cessons de voter des lois mémorielles !

Écrit par : Darth Vader | 03/01/2012

Les commentaires sont fermés.