22/02/2015
Taubira à ONPC: on regrette l'absence de journalistes...
Les apparitions de Christiane Taubira sont rares devant les journalistes. C'est pourquoi on attendait, un peu, cette invitation lors de l'émission de Ruquier.
La justice est un domaine complexe qui appelle des questions et des réponses fouillées. Mais, une fois de plus, devant les spectateurs de "On N'est Pas Couché", sur France 2, on en est resté aux généralités confortables. Aymeric Caron, d'entrée de jeu, explique qu'il est un fan de Christiane Taubira ce qui coupe court, immédiatement, à toute question un peu incisive.
Quant à Léa Salamé, elle a fait avec ce qu'elle avait, c'est-à-dire par grand-chose. Ceci dit, la journaliste a levé un lièvre de belle taille. On sait que Taubira se présente comme une ministre de la justice qui ne veut pas mettre inutilement en prison les gens et donc donner aux magistrats des outils afin d'éviter le recours au "tout-carcéral". Et la droite, unanimement, part au combat au coup de sifflet en acceptant de croire sur parole Christiane Taubira et en dénonçant le supposé laxisme de Christiane Taubira. Ainsi, les vaches sont bien gardées: dans le camp de la gauche, on a les vrais humanistes qui n'aiment pas la prison et dans le camp de la droite on a les vrais réalistes qui trouvent à la prison des vertus.
Léa Salamé, donc, a levé une lièvre de belle taille: jamais, sous Taubira, le nombre d'emprisonnés n'a été aussi élevé! Jamais, dans toute l'histoire de France! Il fallait contempler les moues effarouchées de Taubira et Caron. Les réponses des deux larrons ont été sans surprise: c'est de la faute à Sarkozy car la loi Taubira sur les peines de probation n'est entrée en vigueur que récemment et, donc, la pauvre Taubira a hérité d'une situation catastrophique.
Comme Léa Salamé n'y connait pas grand-chose, elle n'a pas pu répondre que, dès 2012, des circulaires de Taubira ont appelé à ne plus appliquer les peines plancher et à ne plus avoir recours au tribunal correctionnelle pour mineurs et que, dès l'arrivée de la gauche au pouvoir, la ministre de la justice a clairement demandé aux procureurs de mettre la pédale douce et d'éviter, autant se faire que peut, de demander des peines de prison avant mandat de dépôt.
Or, malgré cette volonté, presque trois années après l'arrivée au pouvoir de François Hollande, jamais le nombre de détenus n'a été aussi élevé. Conséquences concrètes: puisque Taubira ne fait pas construire de prisons et ne trouve pas miraculeusement des places, jamais l'entassement des personnes pauvres emprisonnées n'a été aussi violent! On sait que, bien que ça ne soit inscrit nulle part dans le code pénal, la justice de Taubira comme de Dati enferme les puissants dans de cellules VIP au cas où l'ombre de la prison se profile pour eux. Mais, ça, Léa Salamé ne l'avait pas dans son dossier. Ajoutons que, sous Taubira comme sous Dati, la loi sur l'enfermement individuel existe mais que les décrets d'application ne sont hypocritement pas parus.
Les débatteurs ont débattu ensuite de l'islamisme militant. Faut-il isoler, faut-il ne pas isoler, comment détecter les rabatteurs du terrorisme? Là-aussi, on a enfilé des perles. En réalité, on devrait être honteux que, vu l'entassement dans les prisons et le faible nombre de surveillants, on puisse se radicaliser sous le nez de l'administration pénitentiaire! Il est vrai que ni Caron, ni Salamé, ni Ruquier, ni Taubira n'iront en prison à part peut-être pour des visites touristiques organisées...
Et cette fameuse réforme pénale et ces peines de probation, c'est quoi concrètement? Là-aussi les animateurs, qui ne maîtrisent pas le sujet, n'ont pas été performants. Personne n'a ironisé sur le "tout carcéral" invoqué par Taubira alors que les peines de prison sont relativement rares dans les tribunaux par rapport aux peines alternatives. Personne n'a demandé la vraie différence entre les peines de probation et les peines de sursis avec mise à l'épreuve. Ces dernières sont similaires, largement utilisées et existent depuis des dizaines d'années.
Personne n'a voulu expliquer concrètement qui sont ces gens qui sont en prison et qui ne devraient pas y être. Les délinquants routiers, a-t-on cru entendre hier. Mais il n'y a que les récidivistes graves de la délinquance routière qui sont en prison et si de tels récidivistes de la violence routière étaient remis automatiquement en liberté avec une peine alternative, on entendrait les gens hurler contre les juges si l'un d'entre eux causait un accident mortel...
Un jour, le président Bernard Lemaire, interrompu par un prévenu qui lui disait que les juges n'avaient qu'une idée, celle de "mettre en prison", avait répondu: "Mais non, ne dîtes pas ça, mais parfois c'est nécessaire". Tout est là... Mais de cela, de la justice concrète, il a été peu question hier. Christiane Taubira, pour être objectif, a insisté sur le recrutement prochain de quelques milliers d'éducateurs et de juges. C'est bien. Mais, beaucoup de ministres de la justice auraient pu en dire autant. La Garde des Sceaux, après ce débat presque sans débat, est repartie sous les applaudissements. C'est l'essentiel.
Didier Specq
16:02 Publié dans Justice, Politique, Prisons | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
"Chères lectrices" - la formule est d'Alphonse Boudard - , le seul absent dans ce "tok chaud", c'était Didier Specq ! Ce petit cours - en creux - de la legislation penale est un regal. Vaut mieux lire Nord Eclair avec la plume d'un habitué des prétoires lillois que de perdre son temps avec le robinet d'eau tiède qui coule des televiseurs bavards à en nous en donner le tournis.
Écrit par : Odeladeule | 23/02/2015
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