17/02/2015
La réhabilitation de DSK par le procureur Fèvre
Le réquisitoire cinglant du procureur de la République à l'égard des... juges d'instruction de l'affaire du Carlton.
Il fut un temps, pas si lointain, où estimer que DSK était peut-être innocent des immondes accusations portées contre lui n'était pas "politiquement correct". Même si on assurait n'avoir aucun atome crochu politique avec lui.
Il fut un temps pas si lointain où prétendre que cette affaire dite du Carlton n'avait que des dimensions très réduites et ne concernait que des prostituées professionnelles -ce qui ne diminue en rien leurs souffrances personnelles- était très mal venu.
Il fut un temps pas si lointain où s'étonner des principes moraux apparents des juges d'instruction était mal porté. Et, pour tout dire, même ces jours derniers, il était encore difficile de s'étonner que des pratiques sexuelles, parfaitement autorisées si elles étaient consenties, provoquent encore des soupirs indignés de certains journalistes. Les mêmes qui sont prêts à traiter d'homophobes les gens qui mettent en doute la nécessité du mariage homosexuel s'agaçaient bizarrement de pratiques réputées "contre-nature".
Et puis, hier, le procureur Frédéric Fèvre, dans un réquisitoire qui sera peut-être un jour qualifié d'historique, a lâché quelques remarques particulièrement acerbes.
Après un petit temps de silence, le procureur a prononcé le nom de Dominique Strauss-Kahn. Et, derrière les termes mesurés employés par le magistrat, on sentait poindre comme un colère.
D'abord, ce dossier médiatique n'a rien à voir avec une énorme affaire de proxénétisme. Comme il s'en juge souvent à Lille sans que les médias nationaux s'en inquiètent. "Sans ce prévenu (DSK), cette affaire aurait été jugée depuis longtemps dans l'indifférence générale" assène le procureur. Et d'ajouter: "J'estime que Monsieur Strauss-Kahn doit être jugé comme un autre prévenu, je veux dire par là que sa notoriété ne doit en aucun cas être considérée comme une présomption de culpabilité".
Du côté des charges pesant sur DSK, qui nie avoir su que des prostituées officiaient dans l'ombre, on sait que les juges d'instruction ont eu une interprétation qu'on pourrait estimer tirée par les cheveux de la loi sur le proxénétisme qui réprime toute aide, tout soutien, toute incitation à la prostitution d'autrui . Ainsi, DSK serait un proxénète car il serait "le roi de la fête" et que les parties fines étaient organisées en fonction de son agenda. Il serait une sorte de co-organisateur et non pas, s'il connaissait l'existence des prostituées, une sorte de client.
Le procureur s'attaque mordicus à cette thèse des juges d'instruction de l'affaire du Carlton: "Quelle définition faut-il retenir du proxénétisme? Cette définition doit-elle être extensive? Je ne le crois pas. Car le droit pénal est d'interprétation stricte. Retenir une définition extensive reviendrait à condamner pour proxénétisme tout homme qui fait monter une prostituée dans sa voiture, qui loue une chambre d'hôtel, fait venir une prostituée à son domicile". Car, effectivement, on pourrait estimer à l'extrême-limite qu'un client incite ou aide la prostitution. Un tantinet sarcastique, le procureur observe que, dans le dossier, on aperçoit quelques personnalités lilloises allant bien plus loin avec les prostituées et ne pas être poursuivies. Quelques noms surgissent afin de rafraîchir la mémoire des moralistes...
Après avoir cité les points où Dominique Strauss-Kahn ne peut être accusé formellement d'avoir eu connaissance de la présence de péripatéticiennes, le procureur plante une sérieuse banderille: "Ce n'est pas la connaissance de la qualité de prostituée qui fait le proxénétisme mais les éléments constitutifs de l'infraction". Bref, pour le procureur, tout ce petit jeu des juges d'instruction, qui s'attachaient à démontrer que DSK savait que certaines des femmes étaient des prostituées, n'aurait servi à rien: DSK, submergé de tâches politiques, de voyages et de réunion, n'a rien organisé, n'a tiré profit de rien, n'a incité en rien...
Mieux, le procureur n'hésite pas à dénoncer une étrange curiosité de l'instruction: "A ce moment, je voudrais dire que j'ai été troublé, oui troublé, par l'évocation récurrente depuis sa mise en cause des pratiques sexuelles de Dominique Strauss-Kahn! Parce que, dans ce dossier, c'est le seul prévenu où on a poussé aussi loin le soin du détail".
Bref, pour le procureur, à aucun moment, DSK ne peut apparaître comme un proxénète. Frédéric Fèvre ira jusqu'à dire que "si certaines femmes se plaignent à l'audience des pratiques rudes de DSK, d'autres n'ont pas du tout le même ressenti et s'en réjouissent". Le procureur complète: "Il faut en outre se souvenir qu'aucune charge de violences n'a été retenu dans ce dossier contre Dominique Strauss-Kahn! Alors, ne nous trompons pas de débat!"
Inutile de dire que, pour le procureur, le fait que les quatre prostituées parties civiles abandonnent leur souhait de condamnation et leurs demandes envers DSK "montrent qu'elles commencent à partager l'analyse du parquet".
Hier, le procureur a tout simplement procédé à une réhabilitation de Dominique Strauss-Kahn. On attend avec curiosité les explications de tous ceux qui, il y a encore quelques jours, n'avaient pas de mots assez durs pour l'ex-directeur du F.M.I. Ajoutons que, même si ça semble difficile, la chambre correctionnelle qui examine le dossier peut très bien, puisqu'elle est saisie directement par les juges d'instruction en ce qui concerne DSK, juger l'ex-responsable socialiste coupable. Mais cela semble à peu près exclu après la "plaidoirie" du procureur en faveur de DSK.
Didier Specq
20:10 Publié dans Affaire Carlton, Justice, prostitution | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Les commentaires sur votre note (14/08) portant sur l'ordonnance de renvoi de Stéphanie Ausbart sont à relire à la lumière de ce qu'a prononcé le procureur. Non il ne faudra pas plusieurs années pour juger des qualités de madame Ausbart. On sait maintenant qu'elle aurait dû choisir des études religieuses plutôt que le droit ! On peut vouloir se "payer" un puissant encore faut-il avoir des arguments percutants et ne pas seulement détester ses pratiques sexuelles (les seules à être détaillées dans l'ordonnance selon le procureur).
Écrit par : Jean-Jacques75 | 18/02/2015
Tout à fait, Jean-Jacques!
Écrit par : didier specq | 18/02/2015
Un habile personnage depravé et manipulateur : pas un bon de commande, pas un paiement, pas un ecrit, juste des SMS explicites mais anodins. Même sa garçonnière est au nom d'un tiers. Et ce roué affirme ne pas savoir reconnaître une prostituée alors qu'en matière de "dossiers", c'est un expert . De plus, vu le nombre d'affaires dans lesquelles il a été impliqué, il a acquis une aisance et une rhetorique imparables dans les pretoires. De tout cela, il ne restera "rien". Sauf que les degâts collateraux vont coûter cher : le mepris des citoyens envers les politiques va encore augmenter autant que la confiance en la Justice va diminuer.
Écrit par : Odeladeule | 19/02/2015
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