20/02/2015

affaire Carlton: justice et morale...

minotaure.jpg

Le président Bernard Lemaire, impavide derrière son noeud papillon, avait pourtant averti... On ne confondrait pas le droit et la morale.

Dès le début du procès, le Président Bernard Lemaire avait pris le temps d'exposer posément que, pendant trois semaines, on étudierait les faits et la caractérisation des délits et qu'on ne ferait pas de morale. Bizarrement, de nombreux journalistes se sont étonnés que, par la suite, on se penche avec suspicion sur les parties de sexe collectif, telle ou telle pratique hétérodoxe, la pénétration anale, voire le sado-masochisme. Des journalistes gênés étrangement surtout par les mots crus et précis souvent employés par les protagonistes, les parties civiles et les magistrats.

Lors d'un débat récent sur l'affaire du Carlton, les éminentes journalistes réunies autour de Pascal Clark trouvaient que l'ambiance était lourde dans la salle d'audience et que "même les confrères hommes étaient choqués". Et, bien entendu, on reparlait de "sodomie"... Il est amusant de remarquer que les mêmes, si l'on parlait par exemple de rapports intimes entre homosexuels, traiteraient sans doute d'homophobes les gens qui jetteraient l'opprobre sur les mêmes pratiques.

Eh, bien, non, si l'on s'en tient à l'évocation des pratiques sexuelles, il n'y avait rien de lourd dans l'ambiance de ces trois semaines de débats. Des parties civiles parlaient de leurs souffrances, c'était dur. Des prévenus protestaient de leur innocence, c'était dur aussi. Mais ce n'est certes pas l'évocation des pratiques sexuelles qui était pénible.

Il aurait suffi à ces journalistes sur-diplômés et donc réputés ouverts aux choses de la vie de se rendre aux audiences réservées chaque semaine aux agressions sexuelles au tribunal de Lille pour s'apercevoir qu'il y a bien plus lourd. Même chose pour les "vraies" affaires de proxénétisme. Répétons que, dans ce dossier, il n'y a pas de mineures mais des libertines ou des prostituées professionnelles largement majeures. Il n'y a pas d'armes, de menaces, de violences, de coups encore moins de "brûlures de cigarettes" (comme celles évoquées mensongèrement par Claudine Legardinier, pour le mouvement Le Nid, dans une tribune parue dans Libération le 9 février dernier)

Il existe même dans ce dossier des parties civiles à qui l'on offre des cadeaux, avec qui on visite le FMI et un musée de Washington, avec qui on prend des photos souriantes dans des parcs sans oublier de photographier les petits écureuils familiers des jardins publics américains.

Tout ça ne retire rien à "l'abattage", aux souffrances sociales et affectives évoquées par les parties civiles mais nous n'étions pas, à moins de sortir du couvent des oiseaux, dans une affaire abominable de proxénétisme comme il y en a beaucoup -mais si peu suivies par la presse- au tribunal de Lille.

Le président Bernard Lemaire évoquait la "morale" au début de procès, en ajoutant qu'il n'allait pas en faire, parce que, tout au long des 214 pages de l'ordonnance de renvoi, les pratiques hétérodoxes, par rapport à la sexualité présumée courante, sont évoquées contre étant "dégradantes". Et, avec un raisonnement pour le moins étonnant, si elles sont dégradantes, elles ne peuvent qu'être subies par des prostituées et donc cela contribue à prouver que DSK savait qu'il y avait des prostituées parmi les participantes et donc, puisqu'il aurait co-organisé les séances de sexe collectif, il serait proxénète...

Une des participantes à ces soirées expliquait d'ailleurs qu'on peut tenir le raisonnement strictement inverse: une femme libertine passionnée de sexe est prête à tout alors qu'une prostituée se refuse à certaines pratiques ou, à tout le moins, tarifie spécifiquement les "spécialités".

"Tout ça en dit beaucoup sur les conceptions sexuelles des magistrats instructeurs" ironisait Me Dupond-Moretti. Effectivement, on comprend bien le raisonnement du président Bernard Lemaire, répété avec beaucoup de pédagogie par le procureur Frédéric Fèvre: ce qui peut établir le délit de proxénétisme, ce sont les éléments du délit (aide, assistance, profit, menaces, etc) pas la forme de la pratique sexuelle. Aux yeux de la justice, peu importe la forme de sexualité pratiquée ou les condamnations morales de telle ou telle pratique. Rappelons que la sodomie n'est plus condamnée en France depuis 1791...

Et, si certains journalistes ont pu estimer que les prévenus parlaient avec "impudeur", c'est parce que les accusés (soulignons que ce dossier était "criminel" selon les juges d'instruction) étaient obligés de s'expliquer sans cesse sur les formes prises par leur propre sexualité (rapports assumés avec des prostituées, pratiques plus ou moins spectaculaires) et non pas sur les éléments concrets qui tendraient à prouver, selon les cas des uns et des autres, qu'il y avait ou non proxénétisme. C'était un procès sur le proxénétisme et accessoirement sur les abus de biens sociaux. Ce n'était pas le procès de certaines formes de sexualité condamnées moralement par tel ou tel mouvement.

En ce sens, Me Frédérique Baulieu, pour Dominique Strauss-Kahn, avait raison de souligner que, dans ce procès, il existait aussi une campagne politique sous-jacente pour "l'abolition de la prostitution".

Didier Specq

Commentaires

Ce nœud papillon arboré par le président du tribunal est de trop. Toute la presse en parle en oubliant qu'une audience de tribunal n'a rien d'un cocktail mondain . Ce président devrait le savoir même sans avoir lu Bourdieu et son ouvrage sur « la distinction » En effet, depuis des années,les media ont présenté des centaines de photos de DSK en nœud papillon grand format, chemise blanche et smoking, - arborant à ses côtés - comme une decoration - une créature statuesque choisie pour alimenter les potins indispensables à sa Com. D'autre part, lors d'une audience, la Loi impose aux magistrats et aux avocats une robe sévère, correspondant à la dignité de leurs fonctions dans l'exercice de la justice qu'ils représentent. On ira plus loin : cette coquetterie vestimentaire du président du tribunal instillait une dose de proximité avec l'accusé qui - lui- avait bien pris soin – ce jour là - de venir en cravate et costume de bon faiseur. En conclusion et a contrario que dirait-on d'une présidente qui arborerait au cou un carré de chez Hermès? On imagine dejà les frétillements dans les redactions et peut être, honneur insigne, la mention de l'objet sur la page d'accueil de Yahoo barycentre des cancans du monde entier.

Écrit par : Odeladeule | 02/03/2015

Les commentaires sont fermés.