29/03/2012
Un petit bonhomme au tribunal
Heureusement que ce petit bonhomme avait un avocat...
Une semaine après sa comparution devant les juges, je n'ai pas oublié son regard. Parfois, à la dérobée, il se retournait vers la salle d'audience. Apparemment, pas de proches ou de copains. Mais son regard d'enfant à la fois terrorisé et fataliste me troublait. Des yeux d'enfant battu.
Le Roubaisien Francis T. a pourtant 47 ans. Il est sous curatelle, il perçoit une allocation d'adulte handicapé, il travaillait dans un emploi protégé à l'accueil d'un centre sportif. Une vie très modeste. Aucune condamnation au casier judiciaire. Et puis, un jour, Francis T. est tombé dans une case: celle du présumé violeur. On sait que c'est un drame horrible. On sait aussi que des chiffres énormes et invérifiables circulent sur le nombre de viols en France.
En même temps, comme souvent, la justice, faute de moyens dit-elle, transforme d'un coup de baguette magique et mensongère le "viol" (crime passible des assises) en "agression sexuelle" qui n'est qu'un délit. Certes, c'est un détournement de la loi votée. Mais ça permet de passer plus vite le "présumé coupable" entre juges professionnels sans faire appel aux jurés.
Présumé coupable? Ben oui, ça arrive. Racontons vite fait l'histoire que par ailleurs Nord-Eclair a déjà narrée. Un soir, à la sortie d'une supérette, en janvier 2010, Francis T. rencontre une dame qui a des problèmes: son chariot dans lequel elle trimballe ses achats est cassé.
Qu'à cela ne tienne, Francis T. lui explique qu'il peut réparer ça chez lui et que, d'ailleurs, il a un chariot dont il ne se sert pas. Les deux compères se retrouvent donc dans l'appartement de Francis T. Deux bières sont modestement éclusées. "Attention, mon client ne boit jamais" précise Patrick Tillie, l'avocat de Francis T., qui craint visiblement qu'une équation surgisse: les hommes n'arrivent guère à réprimer leurs désirs sexuels quand ils boivent un peu trop.
Car, effectivement, en repartant de l'appartement, la victime, une pauvresse alcoolique, va se pointer au commissariat de police en expliquant qu'elle a subi un viol. Toutefois, alors que l'expertise médicale est opérée rapidement, on s'aperçoit que, dans ses parties intimes, il existe certes un ADN masculin mais ce n'est pas celui de Francis T.
Par ailleurs, les policiers signalent que la victime est une habituée des dépôts de plainte pour viol. En 2010, par exemple, elle en a déposé cinq (qui j'imagine sont entrées illico dans les statistiques). Toutes classées sans suite. L'une d'entre elles est spéciale: la dame dépose une plainte contre un certain Rachid mais, quand les policiers vont interpeller Rachid à son domicile, ils trouvent la présumée victime qui est déjà revenue dans le lit de Rachid!
En fait, contre Francis T., il existe deux éléments matériels. D'abord, la dame, qui affirme avoir été poussée dans un fauteuil, maintenue et violée, affiche de nombreuses ecchymoses sur le corps. Malheureusement pour elles, ces traces peu spécifiques au viol peuvent aussi être la résultante de la vie tumultueuse d'une alcoolique qui, par exemple, tombe dans un semi-coma ou heurte des meubles.
Deuxième élément: la dame, en quittant le domicile du prévenu, a oublié son portefeuille, son manteau et ses clés près du local poubelles. Ce qui peut indiquer effectivement la panique après une agression.
A l'audience, Francis T. nie. Mais, devant la police, il a fini par avouer. Cependant, lors de l'audience, il suffit de lui poser cinq ou six fois la même question pour que Francis T. réponde "oui". Ainsi, il admet avoir éprouvé un désir sexuel face à la dame. Et, après quelques paroles d'approche, il admet l'avoir prise par les épaules. Et, comme ça ne marchait pas, il a lâché la dame. Mais, pour le reste, il n'en démord pas: il n'a pas violé la plaignante. Laquelle, d'ailleurs, n'est pas venue à l'audience, n'a pas donné de ses nouvelles et n'est donc pas représentée par un avocat commis d'office.
Francis T., malgré les failles évidentes de l'accusation et son handicap mental, a donc passé un an en prison, du 28 janvier 2010 au 11 janvier 2011. On imagine dans quelles conditions.
A l'audience, la procureure, qui admet les zones d'ombre dans ce dossier et que "la victime n'est pas fiable et constante", demande tout de même une peine qui couvre plus ou moins la détention provisoire et laisse le prévenu avec encore une sursis avec mise à l'épreuve "car il reconnaît qu'il s'est montré insistant".
Evidemment, en défense, Patrick Tillie fulmine: "Est-ce qu'on doit couvrir à tout prix la détention provisoire? Dans ce dossier, il n'y a rien. Mon client a eu peut-être l'envie d'avoir une relation avec cette femme. Un sentiment qui, tout de même, n'est pas répréhensible". Le président Hoc Pheng Chhay a annoncé la relaxe de l'homme qui a eu peut-être un désir sexuel. Un désir qui, dans certaines circonstances, devient très dangereux.
Didier Specq
09:08 Publié dans Féminisme, Justice, Prisons | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Bien bel article sur des prévenus dont personne ne parle jamais et qui pourraient passer leur vie en prison s'ils n'avaient pas un(e) avocet(e) compétent(e). On se souvient avec horreur de l'affaire d'Outreau et on se dit que personne n'est à l'abri, que les témoignages(surtout les témoignages d'enfants) sont parfois fragiles et que n'importe qui d'entre nous pourrait se retrouver pris dan un tel engrenage infernal.
Écrit par : VANOVERMEIR Marie-France | 29/03/2012
Scandaleux cette histoire! Demander une peine qui couvre la préventive, et ajouter un sursis avec mise à l'épreuve parce que "monsieur s'est montré insistant"? Mais on vit dans quel pays? Si l'insistance est un crime, il va falloir mettre un substitut à la sortie de chaque bistrot.
Écrit par : Bruno Renoul | 03/04/2012
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