02/04/2012

La croisade de Dupond-Moretti

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Eric Dupond-Moretti a entamé une croisade à contre-courant.

Ce qu'il est convenu d'appeler le dossier DSK ressemble pour certains à une croisade contre la prostitution et, fort logiquement, contre les clients des péripatéticiennes.

Lors de la mise en examen de Dominique Strauss-Kahn, le 26 mars dernier, on a d'ailleurs constaté que les juges avaient abandonné en ce qui le concerne l'incrimination de "recel d'abus de biens sociaux" (difficile à prouver car DSK n'a pas l'obligation de regarder, au dessus de l'épaule de ces amis, à chaque dépense d'où proviennent les cartes bancaires). On ne "contente" donc de l'incrimination de "proxénétisme en bande organisée". On l'a répété à maintes reprises sur ce blog: l'article de loi réprimant le proxénétisme est tellement large (tout facilitation, toute aide, toute incitation, etc) qu'il n'est guère besoin de faire appel à la notion de complicité.

Soyons clairs: un citoyen qui, à Lille, donnerait l'adresse d'une prostituée pratiquant parfaitement légalement en Belgique est, juridiquement parlant, un proxénète.

David Roquet, le patron mis en examen d'une filiale d'Eiffage, est défendu par Me Eric Dupond-Moretti. Et ce patron, de même que celui responsable d'une entreprise lensoise de matériel médical, se trouve au centre de la tourmente car, si DSK savait que des prostituées avaient participé aux "partouzes", l'incrimination contre la patron du FMI peut tenir. DSK aurait servi donc d'intermédiaire. L'incrimination pourrait donc perdurer, au moins jusqu'au procès.

Voici plusieurs mois, nous expliquions ici même que le recel d'abus de biens sociaux nous semblait, juridiquement parlant, moins bien tenir que l'incrimination de proxénétisme. Nous y sommes.

Eric Dupond-Moretti soulève donc un problème qui semble effectivement central: au détour ce qu'Eric Dupond-Moretti qualifie de "dossier minable", on voit surgir le droit de mettre dans la presse des procès-verbaux qui étalent la vie privée de DSK en l'absence de toute mise en examen (elle a été fort tardive) et, aujourd'hui, à l'appui d'une mise en cause qui reste tout de même très indirecte.

En ce qui concerne l'affaire du Sofitel new-yorkais, il s'agissait tout de même d'une agression sexuelle supposée. Même chose pour le dossier Banon. Ici, à Lille, on débat publiquement du point de savoir si DSK savait avoir rencontré, parmi ses nombreuses amies, des prostituées. Et on est donc obligé de disséquer des points de détail dans des rapports sexuels collectifs...

Moralement, tout ça est sans doute condamnable. Cependant, Eric Dupond-Moretti a raison aussi de s'inquiéter car, du point de vue de son client et des autres mis en examen, leurs rapports les plus intimes sont passés au microscope. Même chose pour les SMS où quelques mots tapés en hâte et vite oubliés deviennent des témoins à charge. Mais, dans l'ambiance actuelle, la croisade d'Eric Dupond-Moretti risque de reste bien solitaire.

Didier Specq

Commentaires

Je me doutais que tu écrirais là-dessus mon bon Didier. Personnellement, je n'écouterai ces croisés qu'une fois au tribunal. Je me méfie un peu des postures des avocats au cours d'une instruction. Il est très facile pour un avocat de dire qu'un dossier est vide, et qu'on va "voir ce qu'on va voir" lors du débat contradictoire. C'est ce qui est arrivé pour Dodo la Saumure : pendant des mois, ses avocats ont plaidé que leur client était victime d'un acharnement, qu'il n'y avait rien, et au procès, à Tournai, on a constaté que le dossier de l'accusation était loin d'être vide, bien au contraire.
De mon côté, je préfère m'en tenir aux faits et attendre de voir ce que l'accusation a à dire. C'est bien plus prudent.

P.S : sur les PV qui sortent, eh bien "c'est le jeu ma pauvre lucette", j'allais dire. Dans l'affaire Bettencourt, je n'entends personne critiquer le fait que Le Monde et autres médias sortent toujours les PV qui vont dans la direction de Sarkozy. C'est ainsi...

Écrit par : Bruno Renoul | 03/04/2012

P.S : cette instruction ressemble, à mon sens, d'autant moins à une croisade contre les clients des prostituées que M. Strauss-Kahn est le seul, je dis bien le seul client poursuivi dans cette affaire. Tous les autres, nos amis notables lillois ou parisiens, se sont bornés à être entendus par la police. Ce qui montre bien qu'il ne suffit pas de coucher avec une prostituée, comme dit Me Dupond-Moretti, pour être poursuivi...

Écrit par : Bruno Renoul | 03/04/2012

Il est sûr qu'il n'y a pas de point commun entre les affaires su Sofitel NY, celle de Tristane Banon et l'affaire du Carlton qui ne devrait être qu'une affaire judiciaire, somme toute ordinaire, sauf que DSK est l'un des protagonistes, il y en a sans doute d'autres mais ceux-là intéressent moins!

Écrit par : VANOVERMEIR Marie-France | 03/04/2012

La présence de DSK dans le dossier n'est elle pas un heureux écran de fumée qui va permettre au petit club des débauchés lillois de se faire oublier ?
Parce que si DSK est proxénète (présumé) par aveuglement, les autres sont quand même poursuivis pour du "vrai" proxénétisme, et ce n'est quand même pas la même chose. On doit constater que depuis qu'on parle des parties fines de la vedette américaine du dossier, les faits reprochés aux principaux auteurs (présumés !) n'intéressent plus personne. Très bien joué de la part de la défense.

Écrit par : Edouard d'Erf | 03/04/2012

@Bruno Renoul, Marie-France Vanovermeir, Edouard d'Erf.

La question posée par Eric Dupond-Moretti (et par d'autres) peut se formuler ainsi: jusqu'ici, les clients des prostituées n'étaient pas sanctionnées puisque, de toutes façons, la prostitution est licite. Or, avec les "partouzes" organisées apparemment autour de DSK, le simple fait qu'un des partenaires sexuels soit rétribué semble, pour les juges, être suffisant pour que l'ensemble des participants soit des proxénètes, et même des proxénètes en bande organisée. Si, bien entendu, les protagonistes sont au courant.

On peut d'ailleurs se poser la question de l'argent des prostituées. Jusqu'ici, ce sont des professionnelles qui sont parties civiles. Mais, apparemment, des "libertines", pour reprendre la terminologie des amis de DSK, ont forcément été remboursées largement de certains frais. Nulle doute que ces échanges d'argent viendront également à charge dans le dossier.

Eric Dupond-Moretti pose donc un problème: ne s'agit-il pas de réprimer une forme de sexualité (de groupe) et d'interdire au final la prostitution? Ce qui n'était pas dans les intentions du législateur.

Ajoutons que cette tendance n'est pas nouvelle. Qu'on réfléchisse par exemple à la notion étonnante (désormais répréhensible depuis l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy) de "racolage passif"... C'est tout de même stupéfiant: un(e) prostitué(e) qui exerce une activité légale et soumise à impôts attend au bord du trottoir, habillé(e) tout à fait normalement, en n'adressant aucun signe aux gens qui passent et aux automobilistes et on estime possible de la ou le réprimer... Il s'agit bien dans ce cas d'interdire un échange par ailleurs légal.

D.S.

Écrit par : didier specq | 04/04/2012

Le droit pénal est d’interprétation stricte : c'est un principal fondamental du droit qui interdit au juge d'inventer une infraction là où il n'y en a pas. On ne peut donc qu'approuver votre propos.
Rien ne ressemblant plus -peut on penser- à une femme nue dans une orgie qu'une autre femme nue, difficile d'y distinguer une libertine, défrayée ou non d'une professionnelle.

C'est bien parce que je vous approuve que je ne comprend pas comment les juges, qui ont, dans le carlton version 1.0, une véritable affaire de proxénétisme, au sens ou des hôteliers se seraient enrichis de manière habituelle en louant sciemment des chambres à des escortes recrutées par des intermédiaires, vont s'égarer dans la version 2.0, où l'on va ennuyer le plus célèbre d'une bande de copains qui s’échangeaient des filles "pour leur consommation personnelle".
Amuser juges et médias avec DSK n'est il pas, finalement, le meilleur moyen pour le pour les premiers intéressés de se faire oublier ? Rappelons que l'on avait imputé à M. Kojfer des appels téléphoniques dans lesquels il espérait tirer parti de l’affaire DIALLO : la ressemblance est troublante.

Écrit par : Edouard d'Erf | 04/04/2012

@Didier Specq

Ce qu'on sait pour l'heure du dossier, via les fuites organisées à destination du dossier, montre que la simple connaissance du fait que ces femmes étaient retribuées ne suffit pas à une mise en examen :car sinon, un ancien navigateur aurait été poursuivi, par exemple. Les juges semblent poursuivre une participation à l'organisation de la prostitution, et à la mise en lien de celle-ci avec d'autres clients. Est-ce que ce sera suffisant? On le saura au procès, s'il y en a un...

Écrit par : Bruno Renoul | 04/04/2012

@Bruno Renoul.

Je répète que je n'ai jamais dit que la simple connaissance du fait que certaines femmes aient été rétribuées suffit à une mise en examen.

Mais je répète aussi qu'à partir du moment où il s'agit d'une activité sexuelle à plusieurs, cela peut suffire apparemment pour être mis en examen pour proxénétisme car un des participants, à un moment ou à un autre, sert d'intermédiaire avec un autre de ses copains quand la prostituée passe des bras de l'un aux bras de l'autre. Or, toute forme de facilitation de la prostitution d'autrui peut être qualifiée juridiquement de proxénétisme.

Savoir que la participante à ces pratiques collectives est une prostituée est une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faut aussi avoir servi d'intermédiaire. A ce moment-là, en appliquant très strictement la loi, on peut faire tenir une incrimination de proxénétisme.

C'est ce que prétendait la féministe Marcela Iacub l'autre soir sur France 3: ce qui est nouveau, c'est qu'on interdit maintenant une pratique collective alors que le recours individuel à un(e) prostitué(e) n'est pas (encore?) condamnable.

Didier Specq

Écrit par : didier specq | 06/04/2012

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