06/04/2012

Dupond-Moretti n'a pas défendu Jésus

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Le procureur Ponce-Pilate a-t-il vraiment voulu sauver Jésus?

Comme chacun sait, les avocats modernes n'existaient pas du temps de Jésus. Pourtant, même payé à l'aide légale, Eric Dupond-Moretti aurait adoré défendre Jésus contre l'unanimisme répressif des autorités juives et de la foule. En revanche, dans la mesure où Ponce-Pilate représente le gouvernement romain, on peut assimiler son rôle à celui d'un procureur. Car, aujourd'hui, plus aucun historien ne conteste sérieusement l'existence d'un leader d'opinion nommé Jésus et de sa condamnation à mort.

La condamnation à mort implique un procès. Surtout dans un pays dominé par l'Empire Romain qui aimait tant les règles juridiques. Surtout aussi dans un pays où les Juifs ont perdu l'autonomie politique et ne peuvent plus condamner à mort. Un privilège réservé à l'autorité romaine.

Quatre évangiles racontent, de façon parfois sensiblement différente, le procès de Jésus. Trois évangiles -ceux de Matthieu, Marc et Luc- passent généralement pour des reportages qui présentent de nombreuses analogies et peuvent être lus en parallèle, en synopse, ce qui signifie, en grec, sous un même regard. Les trois évangiles appelés synoptiques s'opposent en quelque sorte à celui de Jean qui serait en quelque sorte un évangile plus intellectuel.

En effet, Jean choisit de raconter un nombre plus restreint d'événements de la vie de Jésus. La partie narrant les séjours à Jérusalem est d'ailleurs proportionnellement plus importante. Enfin, et surtout, au lieu de l'accumulation de récits brefs chère aux évangiles synoptiques, Jean n'hésite pas à commenter longuement les événements.

Mais cela ne signifie pas que l'évangile de Jean serait moins exact, moins proche de la réalité. Ainsi, alors que Matthieu, Marc et Luc racontent un passage devant le tribunal des Juifs (le Sanhédrin qui est à la fois l'assemblée législative des Juifs et un tribunal suprême), Jean n'a pas l'air d'estimer exact ce passage.

C'est probablement Jean qui a raison et d'ailleurs la description fournie par Matthieu, Marc et Luc est très approximative, voire lacunaire.

Pourquoi Jean aurait raison? Parce qu'en cas de condamnation à mort (ou de demande de condamnation à mort qui serait sollicitée auprès des Romains), la cour se réunissait obligatoirement deux fois. Une précaution pour bien réfléchir à la gravité de l'évènement. Or, en une seule journée, comme le disent les évangiles synoptiques, cela semble difficile, voir impossible en pleine fête de la Pâque juive.

C'est probablement l'irruption de Jésus au Temple, où il chasse à coups de corde les marchands, qui est la cause principale de sa future arrestation. En s'attaquant à ces marchands, Jésus s'attaque à une activité économique et religieuse essentielle: le commerce des animaux pour les sacrifices qui redouble d'intensité à Pâque. Or, c'est la dynastie d'Ann, le grand prêtre, qui gère cette activité lucrative. Ann est le beau-père de Caïphe. Selon les recoupements à partir des récits de l'écrivain romain Flavius Josèphe, le règne d'Ann va de l'an 6 à 15 de notre ère et celui de Caïphe de 18 à 35, c'est-à-dire pendant toute la période où Ponce-Pilate a été le préfet de Judée.

Après avoir raconté comme les autres évangélistes l'arrestation de Jésus par une milice envoyée par les grands prêtres, Jean détaille un simple passage devant Ann puis Caïphe où on interroge sans formalisme Jésus avant de l'envoyer auprès de gouverneur Ponce-Pilate. Voilà, le procès qui nous intéresse directement.

Le blasphème en se déclarant "fils de Dieu", la volonté affichée de détruire le Temple de Jérusalem (au sens propre ou figuré), la menace contre l'ordre public car Jésus se serait prétendu roi des Juifs: telles sont les accusations qui pèsent contre Jésus.

Mais Ponce-Pilate va tout faire pour ne pas juger Jésus. Et, comme dans un tribunal moderne, le gouverneur romain va soulever nullités et arguties.

D'abord, pour le préfet de Judée, Jésus n'a pas grand-chose à se reprocher. "S'il n'était pas un malfaiteur, te l'aurions-nous livré?" rétorquent les grands prêtres. Comme il s'aperçoit qu'il s'agit de reproches religieux, Ponce-Pilate soulève sa propre incompétence juridique: "Prenez le et jugez-le vous-mêmes selon votre propre loi". Mais les responsables juifs rétorquent qu'il ne leur est pas permis de mettre eux-mêmes à mort.

"Es-tu roi des Juifs?" demande Ponce-Pilate. Jésus répond, entre autres, que son royaume n'est pas de ce monde et le gouverneur de Jérusalem s'agace de plus en plus: "Pour ma part, je ne trouve aucun chef d'accusation contre lui".

Mais, comme les grands prêtres n'en démordent toujours pas, Ponce-Pilate va tenter la grâce: il est d'usage de relâcher des prisonniers pour la Pâque. La foule se met à crier qu'elle veut qu'on libère un brigand, un nommé Barabbas, mais pas Jésus.

Là, pour nos citations, nous quittons l'évangile de Jean pour un des évangiles synoptiques, celui de Luc par exemple. Cet évangéliste ajoute que, comme Hérode (chef de la Galilée, à l'époque plus indépendante que la Judée) se trouve à Jérusalem, Ponce-Pilate, apprenant que Jésus était originaire de Galilée, veut passer le dossier de Jésus à Hérode. Mais la tentative de "dépaysement", comme nous dirions aujourd'hui, échoue car Hérode estime également que Jésus n'est coupable de rien, en tous cas pas susceptible d'être condamné à mort.

Après l'incompétence, la grâce, le dépaysement, Ponce-Pilate tente la réduction de peine: "Je n'ai rien trouvé en lui qui mérite la mort, je vais donc lui infliger un châtiment et le relâcher". Peine perdue: les grands prêtres réclament toujours la peine capitale.

Finalement, craignant vraisemblablement de mécontenter la foule qui se presse à Jérusalem pour les festivités de la Pâque, le gouverneur accepte de condamner à mort Jésus. Mais, au lieu de le lapider par exemple, comme le pratiquaient les Juifs en cas de condamnation à mort, Jésus sera crucifié comme le voulait la pratique romaine.

Soulever l'incompétence, invoquer une grâce possible, tenter le dépaysement, chercher à éviter la mort en pratiquant une réduction de peine, crucifier Jésus à la romaine car les Juifs ne peuvent plus condamner à mort: ces détails sont-ils anecdotiques? Non, car ces subtilités juridiques montrent que les évangélistes, s'ils ne maîtrisent certes pas le droit romain, racontent tout de même une histoire très vraisemblable. Avec, dans son déroulement, des détails juridiques véridiques.

Didier Specq

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