05/02/2015

DSK: la théorie du complot...

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Réflexions après "l'interview" judiciaire de l'ex-commissaire divisionnaire Joël Specque...

Comme on le répète toujours, notamment ces temps derniers, ce n'est pas bien du tout de voir, derrière les faits divers médiatiques, des complots partout. On appelle même ça le "complotisme". Ceci dit, ce n'est pas parce qu'on ne doit pas entrevoir des complots partout que les complots n'existent nulle part...

Et, justement, dans l'affaire dite du Carlton devenue l'affaire DSK, on peut s'interroger légitimement sur l'existence d'un complot ou, à tout le moins, de noirs desseins. Pourquoi? Eh bien tout simplement parce que l'observateur le plus naïf ne peut que se dire que d'énormes moyens ont été employés pour venir à bout d'une affaire plutôt banale de proxénétisme hôtelier. Pas de mineures contraintes à la prostitution, pas de règlements de comptes sanglants, pas de fortune amassée, pas d'étrangères mises de force sur le trottoir. Non, un proxénétisme mondain, ce qui ne veut pas dire d'ailleurs qu'il n'est pas éventuellement dégoûtant.

D'ailleurs, les protagonistes du départ sont plutôt âgés et l'un d'entre eux, René Kojfer, la "cheville ouvrière" qui fêtera ses 70 ans en détention provisoire, est un indicateur de police depuis la nuit des temps. Bref, rien de très nouveau sous le soleil lillois. Or, pour abattre ce "réseau", qui a presque pignon sur rue et dont l'un des membres dîne habituellement avec des responsables policiers, on a employé un groupe spécial de la police judiciaire et, ensuite, trois juges d'instruction ont été nommés pour suivre ensemble ce dossier apparemment hors normes.

Rappelons que, à Lille, des affaires compliquées de corruption comme l'ORCEP mettant en cause le président du conseil régional de l'époque, des magouilles immobilières complexes, des dossiers de tueurs en série, d'énormes trafics de drogues concernant plusieurs cours d'appel du Nord de la France, etc, ont été instruites et jugées. Et jamais à Lille, on n'a jugé bon de nommer simultanément trois juges d'instruction. Pourquoi cet empressement hors normes? Pour bien instruire et juger une affaire, il n'est jamais trop tard pour bien faire...

Mercredi, quand le commissaire divisionnaire honoraire Joël Specque passe à son tour sur la sellette, on en apprend encore de belles. On savait, à lire attentivement, le dossier que des "écoutes administratives" avaient été semble-t-il pratiquées. Dans son autobiographie professionnelle, Joël Specque en parle lui-même (voir notre billet d'hier).

Ceci dit, la confirmation à l'audience de ces écoutes ne manque pas de sel. Soyons clairs: ces écoutes administratives, en dehors de toute procédure judiciaire, sont autorisées quand le sécurité ou les intérêts fondamentaux du pays sont en cause. Terrorisme, grand banditisme, espionnage industriel, criminalité organisée. "Et alors, vous trouvez que le trafic d'êtres humains ne rentre pas dans cette définition?" lance l'ancien policier. Certes. Mais les papys libidineux sur le banc des prévenus -puisqu'au départ, il s'agit bien de surveiller les patrons du Carlton, René Kojfer et Dodo la Saumure- n'ont vraiment pas l'air d'être les clients habituels du contre-espionnage français.

Ces "interceptions de sécurité" sont demandées donc à une commission et au premier ministre François Fillon qui valide l'autorisation. Elles doivent être, dit la loi, "pertinentes, suffisantes et sincères". C'est la Direction Générale de la Sûreté Intérieure qui suit directement le dossier à Paris.

Que disaient ces écoutes? "Rien d'extraordinaire" assure Joël Specque. Sont-elles disponibles? "La retranscription a été détruite, c'est la loi" ajoute le policier. On sait qu'elles ont été renouvelées au bout de quatre mois et qu'elles ont duré jusqu'à l'ouverture officielle de l'enquête normale: le 8 février 2011. Joël Specque n'en dira pas pas plus: "secret défense". Ah si, un détail tout de même: "DSK n'est pas apparu au cours de cette enquête" assure Joël Specque qui, brusquement, se juge délié du secret défense sur ce détail non négligeable. "J'ai dit la vérité, le reste, je m'en fous" conclut sobrement le grand policier à la retraite.

Comme nous sommes disciplinés, nous croyons donc à cette histoire: DSK n'est pas le motif caché de ces enquêtes et son nom n'est pas apparu.

Rappelons que, à l'époque, le directeur du FMI est donné comme le plus que probable candidat socialiste à la présidentielle de 2011 et que beaucoup de commentateurs le considèrent déjà comme le vainqueur. Ajoutons que ses relations tumultueuses avec les femmes sont connues de beaucoup de gens: l'affaire de Tristane Banon est passée dans une émission people avec Thierry Ardisson et le "bip" couvrant le nom de DSK n'a pas dû résister longtemps à la curiosité des policiers; le journaliste de Libération Jean Quatremer a déjà indiqué que le libertin DSK risquait d'avoir des ennuis dans la puritaine Amérique; le FMI a déjà enquêté publiquement sur la liaison sulfureuse de DSK avec une responsable de l'organisation internationale. A Lille dans les hautes sphères de la police, personne n'a donc signalé la présence libertine de DSK dans la région et à Paris, dans les hautes sphères du contre-espionnage, personne n'est au courant.

Toutefois, avant l'histoire du Sofitel de New-York qui surgit le 11 mai 2011, un responsable du contre-espionnage questionne son vieil ami René Kojfer sur l'existence de "partouzes" à Lille dont DSK serait l'un des participants. Cette conversation apparaît dans les écoutes officielles du dossier du Carlton. Rappelons que, durant des années, René Kojfer, qui se vante sans arrêt d'être un indicateur de police et de fréquenter la hiérarchie policière, a été tout simplement l'employé aux relations publiques d'une mutuelle de la police qui gérait le Politel, devenu l'hôtel des Tours quand il a été racheté, avec Kojfer d'ailleurs, par le Carlton.

"Je ne vous crois pas" a dit froidement Me Olivier Bluche quand il s'adressait à Joël Specque. Me Bluche est particulièrement remonté car, dans ce dossier, il défend Jean-Christophe Lagarde, ex-numéro deux de la police nordiste, qui a été emporté par ce dossier tentaculaire. Jean-Christophe Lagarde se voyait futur proche conseiller de DSK. Là aussi, on est prié de croire que la présence de DSK à Lille dans des parties de "sexe collectif" n'a pas "fuité" vers Paris.

Bien sûr, sans l'intervention de la femme de ménage du Sofitel de New-York en mai 2011, il est probable que, à l'automne 2011, DSK aurait remporté les primaires du PS. Juste au moment où son nom serait apparu dans l'enquête lilloise. Mais tout cela, c'est de la pure fiction... Rien ne permet de penser et encore plus de prouver que, à un moment ou un autre, "on" ait pu penser que les liaisons dangereuses de DSK pouvaient être exploitées politiquement. Il n'y a pas eu de complot.

Didier Specq



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