05/02/2015

DSK: une enquête cachée avant l'enquête officielle?

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Silence complet dans la salle d'audience du procès Carlton quand le commissaire divisionnaire Specque arrive à la barre.

L'heure est grave et il est déjà tard dans l'après-midi de ce mercredi. D'ailleurs, le commissaire divisionnaire honoraire Joël Specque mijote depuis un bon moment dans la salle isolée réservée aux témoins.

Joël Specque, avec son visage qui semble marqué par des années de planques et de gardes à vue, est un figure de la police lilloise. "Je suis arrivé en 4cv quand je suis entré dans la police et je repars en Porsche" avait-il dit ironiquement le jour de son départ en retraite. Sa retraite? Le 22 octobre 2010 où s'organise une petite fête où nombreux sont les policiers présents. Joël Specque a fini comme chef de la division criminelle du service régional de la police judiciaire de Lille. Un policier de premier plan qui a "fait" presque toute sa carrière à Lille.

Le vieux flic raconte ses souvenirs dans un livre. Et, à la page 88 de son autobiographie, se niche une petite bombe. A propos de l'affaire du Carlton, Joël Specque écrit que des écoutes administratives ont existé avant l'ouverture officielle de l'enquête policière.

Mine de rien, c'est explosif: des écoutes administratives du contre-espionnage français ont été autorisées par le premier ministre François Fillon. C'est un peu étonnant: ce genre d'écoutes, qui échappent totalement à la justice, sont permises depuis une loi de 1991. Bien sûr, ces écoutes sont destinées aux affaires d'espionnage, de grand banditisme, de pénétration économique. Bref, des "branchements" pour des affaires graves où l'on veut avoir rapidement, en cas de soupçons, une petite idée. Ces écoutes peuvent s'étendre sur quatre mois et être renouvelées. Elles échappent totalement à la justice.

Comment croire que l'intégrité de la France ait été gravement menacée par la révélation de contacts entre les responsables du Carlton et Dodo la Saumure. "Le trafic d'êtres humains, c'est très important" répond, impavide, le policier à la retraite. Et d'ajouter un détail technique: "La plupart des policiers du service étaient connus des suspects, ça m'a semblé la meilleure solution pour commencer l'enquête. Bizarre: "Les prostituées rentraient probablement directement dans l'hôtel, il nous était impossible d'en rencontrer une sur le trottoir" complète paisiblement le commissaire Specque. Commentaire de Me Bluche les yeux dans les yeux: "Je ne vous crois pas".

Ainsi, le simple fait que Dodo la Saumure ait des relations suspectes avec des gens du Carlton et des prostituées aurait suffi à opérer ces branchements. Bien sûr, une question est sur les lèvres de toute l'assistance: et si, d'ores et déjà, le pouvoir voulait savoir si, derrière les proxénètes lillois suspectés, ne s'agitait pas un certain Dominique Strauss Kahn, le futur candidat à la présidence de la République. Selon Joël Specque, ces écoutes administratives démarrent en juin 2010. "Qu'est-ce que vous avez mis dans votre demande pour motiver de telles écoutes?" demande Me Bluche. Le policier ne répond pas. Que contenaient ces écoutes? "Je ne peux pas répondre, je trahirai le secret-défense" rétorque le policier. Quant aux transcriptions des écoutes, elles ont été détruites... "Je n'y peux rien, c'est la loi" ponctue le commssaire.

Me Leclerc insiste: "Vous vous rendez compte que ces écoutes qui s'étalent sur plusieurs mois permettent à certains enquêteurs d'avoir plusieurs coups d'avance sur la défense?" Le commissaire Specque ne se démonte pas: "De toutes façons, il n'y avait rien d'extraordinaire dans ces écoutes".

En février 2011, l'enquête policière officielle démarre. "Alors là aussi, c'est bizarre. Qu'est ce qui vous empêchez sérieusement de démarrer comme ça quelques mois plus tôt? Pourquoi la police démarre cette fois normalement les perquisitions?" Joël Specque: "Ah, je n'en sais rien, il faut demander à mon successeur". Me Delarue monte encore une fois à l'assaut. Mais on ne saura rien de plus. "De toutes façons, on ne parlait pas de Strauss-Kahn dans ces écoutes" soupire le commissaire. "Mais, vous venez de trahir le secret-défense!" s'emporte Me Buche. Mais, visiblement, Joël Specque s'en fout, il a fait son boulot. On n'en saura pas plus...

Didier Specq

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