03/02/2015

"Nous étions le dessert": disent les victimes

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Deuxième jour du procès de l'affaire dite du Carlton. Une journée très marquée par le témoignage des péripatéticiennes.

Elles sont venues avec des perruques, des cols de fourrure remontés jusqu'aux oreilles, elles ne montrent pas leur visage, elles n'ont aucune confiance dans certains des photographes de presse qui les traquent. Elles? Ce sont quelques-unes des ex-prostituées de l'affaire du Carlton qui sont venues témoigner à la barre. La veille, elles avaient demandé un huis-clos, à tout le moins une certaine discrétion. Certains journalistes sont atteints de surdité ou d'inhumanité: les prénoms et les noms complets de certaines des parties civiles sont ainsi apparues sur le site d'un journal national...

Peur des pressions? Pas tellement. Plutôt la crainte de voir certains détails très crus réapparaître avec le nom des protagonistes. "Je suis mariée, j'ai des enfants, des proches, j'ai rompu avec tout ça" dit l'une d'entre elles en pleurant à chaudes larmes.

Toutes racontent un parcours de vie compliqué. Toutes parlent de misère et, un jour, "sur les conseils d'une telle ou d'un tel, la tentation de l'argent facile, sortir des dettes, remplir le frigo avant la visite des services sociaux, garder les enfants, payer le loyer". Une d'entre elles résume: "On nous présente toujours le bon côté de la prostitution ou de l'escorting; en réalité, il n'y a pas de bons côtés". Encore s'agit-il ici de prostitution dans des hôtels ou des appartements privés, pas de prostitution de rue.

On détaille ainsi un dîner suivi de dérapages sexuels dans un restaurant italien de Lambersart, banlieue chic de Lille. Une des jeunes femmes, sans doute trop ivre, est étendue sur le sol des toilettes et chacun, semble-t-il, la pénètre tandis qu'un des responsables distribue les préservatifs.

Mêmes scènes, en plus chic, dans un appartement appartenant à la direction du Carlton. Un appartement qui jouxte l'hôtel de luxe et qui sert à accueillir les amis. Par exemple, un responsable des douanes fraîchement arrivé à Lille.

Deux responsables de l'hôtel Carlton, Hervé Franchois, 74 ans aujourd'hui, et Francis Henrion, 48 ans, souffrent particulièrement durant les interrogatoires. On les accuse d'avoir organisé dans l'appartement, avec leur "attaché de relations publiques" René Kojfer, 73 ans, des parties fines. Victuailles, bouteilles de Champagne, robes de chambre sur le compte de l'hôtel. "Nous étions les desserts" disent les jeunes femmes. "Le vieux se réservait les plus jeunes" ajoute une des parties civiles.

Me Marc Desurmont et Me Pierre Soulier, avocats des deux patrons du Carlton, tentent de riposter et insistent sur certaines contradictions des accusatrices et témoins.

Reste le cas René Kojfer. "Certes, c'est hors de la période de prévention mais force est de constater que vous avez consacré une bonne partie de votre vie à mettre en contact des jeunes femmes et des messieurs de votre entourage, vos bons amis qui disposent de revenus confortables" lance le procureur Frédéric Fèvre à l'adresse de René Kojfer.

L'homme en prend pour son grade. Des passes gratuites quand une jeune femme a trouvé des clients par son intermédiaire. Quand la jeune femme ne veut plus être consommée pour rien, "elle tourne connasse" selon le prévenu. Elle est "balancée" alors à un policier.

Une jeune femme fait le trottoir devant un des hôtels dont René Kojfer est l'attaché de relations publiques? "Elle aussi est balancée à la police! Sur le trottoir, elle faisait sans doute une concurrence déloyale aux protégées de René Kojfer", lance, acide, Me Gilles Maton qui intervient pour les prostituées victimes. Me Gérald Laporte monte aussi à l'assaut et, en défense, Me Hubert Delarue pare les coups pour son client. Ce dernier, de plus en plus sourd au fil de l'audience, perd pied. Il fera d'ailleurs un malaise en début de soirée, ce qui mettra fin à l'audience du jour.

Reste une constatation: ce proxénétisme hôtelier et mondain, certes condamnable mais sans grande dimension, aurait donc attiré l'attention, en haut lieu, de la police et du contre-espionnage pour ses accointances avec Dodo la Saumure. On est donc prié de croire que ce sont ces rumeurs autour du proxénétisme dans deux ou trois hôtels lillois qui auraient incité la surveillance du territoire à brancher sur écoutes administratives les trois ou quatre suspects lillois. Des écoutes administratives, hors de toute procédure judiciaire, que le premier ministre François Fillon a autorisé en personne...

Didier Specq

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