06/02/2015
Dodo la Saumure sur le gril
Un gestionnaire de bars montants belge, un personnage plus compliqué qu'il n'y paraît.
Jeudi, c'était l'heure du show pour Dominique Alderweireld, 66 ans pile, qui allait pouvoir enfin s'expliquer devant le président Bernard Lemaire. Le président Lemaire, avec son noeud papillon invariablement coincé entre le cou et la bavette du juge, apparaît comme un personnage des années soixante, une sorte de Galabru qui aurait assimilé tout le code pénal. Or, Dominique Alderweireld, alias Dodo la Saumure, affiche lui-aussi la bouille d'un acteur de ces années classiques, un Tonton flingueur qui serait spécialiste du commerce du sexe. "Fais pas ton Gabin" a coutume de lui dire pour le freiner sa compagne Béatrice Legrain, la quarantaine blonde et pétulante.
Pour sortir peut-être de cette confrontation où le sens de la répartie de Dodo la Saumure noierait le débat judiciaire, le président Lemaire a choisi d'attaquer. Pas question de finasser. Le président avise des études de commerce et une licence de droit chez le prévenu. "Vous aviez dans l'idée de devenir magistrat ou avocat?" lance le président. Finalement, sur ses ambitions de jeune homme, Dodo la Saumure éludera: "Le droit, ça peut toujours servir". Le procureur Frédéric Fèvre, en bon magistrat, rappelle que le prévenu, déjà condamné à cinq ans de prison avec sursis pour proxénétisme, n'aurait guère eu la possibilité de s'épanouir du bon côté de la barre dans les tribunaux.
Justement, c'est bien là que se situe la démonstration essentielle de Dodo la Saumure: "La Belgique, c'est un pays tolérant, on s'arrange toujours avec la loi, les juges ont beaucoup de liberté et de marges de manoeuvre pour l'appliquer, on l'applique différemment selon les villes ou les régions. C'est général en Belgique. La peine de mort n'a été abolie qu'en 1994 mais, depuis la seconde guerre mondiale, les Belges ne l'appliquaient jamais".
Tout ça pour dire que, selon Dodo la Saumure, il n'est pas un proxénète: "La Cour d'Appel de Gand m'a donné raison, j'exploite des bars, je loue des chambres à des prostituées, ce sont des travailleuses indépendantes, elles peuvent s'en aller quand elles veulent, au bout de trois heures, de trois jours ou de plusieurs mois". Dodo prend 50% sur le prix de la location des chambres, et 40% sur le prix des boissons.
Un contrat est signé avec les péripatéticiennes: "Je ne suis jamais allé les recruter, surtout pas en France. Elles viennent sur petites annonces. Elles sont libres". Le président Lemaire: "Elles signent un contrat. Mais quand elles sont étrangères, comment peuvent-elles comprendre?" Béatrice Legrain intervient: "Je traduis, je maîtrise cinq langues". Protestations des magistrats. Contre-attaques des avocats du couple qui soulignent que de nombreux contrats, y compris émanant de grosses sociétés, sont rédigés dans la langue du pays.
Bien sûr, les témoignages de certaines prostituées, qui parlent d'abattage et de conditions de travail médiocres, sapent les démonstrations du présumé proxénète. Dodo et Béa contestent. Les magistrats font état d'écoutes où le prévenu emploie par exemple le terme de "cheptel" en parlant des jeunes femmes. "C'est du second degré". Négresse? "C'est du second degré, je m'exprime comme Audiard, c'est bien connu" s'exclame le prévenu.
"Mes filles sont indépendantes, très indépendantes" répète le prévenu. "Vous employez le possessif" remarque le président. "Exactement, comme un patron dirait mes collaborateurs" rétorque Dodo la Saumure. On s'égare sur une jeune femme qui n'avait pas été recrutée. "Elle n'avait rien à voir avec le métier" euphémise le prévenu. On insiste. "Elle était moche" s'exaspère le prévenu. "Ce n'est pas gentil et c'est subjectif" tacle le président. "C'était pas subjectif, c'était flagrant" ponctue Dodo.
Reste la misère économique et affective exploitée par le prévenu. Dodo la Saumure soupire: "Elles étaient volontaires, vous croyez qu'un gardien de prison choisit vraiment de travailler pour pas grand-chose et de se faire injurier toute la journée?" Lorsqu'on insiste, le prévenu argumente ainsi: "La misère, les contraintes économiques, d'accord, mais je ne suis pas responsable! Je ne suis pas directeur du F.M.I. moi!"
On ne discutera pas ici d'un sujet important: la législation et la jurisprudence françaises, très rudes avec le proxénétisme et l'activité prostitutionnelle, font figure aujourd'hui d'exceptions en Europe. A tout le moins par rapport aux pays qui entourent la France. Ceux de tradition protestante comme la Hollande ou l'Allemagne. Comme ceux de tradition catholique comme la Belgique, Andorre ou l'Espagne.
Didier Specq
00:38 Publié dans Affaire Carlton, Justice, prostitution | Lien permanent | Commentaires (0)
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