25/11/2010

les procureurs ne sont pas vraiment des magistrats

En écrivant ce titre, j'ai hésité. J'ai même ajouté vraiment pour un peu atténuer la violence des propos. Car, dans le monde des magistrats français, la Cour Européenne des Droits de l'Homme ne cesse de jeter de gros pavés dans la mare. Explications sur le dernier en date.


La Cour Européenne des Droits de l'Homme, dans l'affaire France Moulins survenue à Toulouse voici quelques années, vient d'expliquer que la jeune femme (il s'agit d'une avocate un temps mise en cause dans une affaire de blanchissement d'argent sale) n'avait pas été présentée à temps, alors qu'elle se trouvait dans une garde à vue prolongée, à un juge indépendant. Et la Cour Européenne de dire: la gardée à vue a rencontré un magistrat du parquet mais ce procureur ne présente pas une garantie d'indépendance suffisante par rapport au pouvoir politique. Bref, la question de la liberté de la jeune femme n'est pas arrivée assez vite devant un juge.

Et, hop, un pavé dans la mare de la justice française. En effet, en France, procureurs (autrement dit l'accusation sous toutes ses formes) et juges du siège (autrement dit ceux qui jugent vraiment les conflits correctionnels, familiaux ou autres) sont mélangés dans le même corps, sortent de la même école de Bordeaux, mangent dans la même cafetaria et, au hasard des mutations demandées, sont tour à tour, au cours de leur carrière professionnelle, procureur ou juge. Bref des collègues.

Alors que le procureur accuse, pointe du doigt les présumés coupables, s'engage dans les poursuites, demande de lourdes peines, explique qu'on aurait pu aller plus loin, bataille contre les avocats de la défense, etc. Bref, il mène l'accusation, ce qui est tout à fait honorable.

Alors que le juge, sereinement, analyse le pour et le contre, doit écouter avec une égale sympathie toutes les parties en cause dans un procès, n'a pas de raisons a priori de plus écouter un procureur qui accuse qu'un avocat qui plaide l'innocence ou les circonstances atténuantes, bref il juge de la façon la plus équilibrée possible. Ce qui est tout à fait honorable.

En revanche, la confusion entre la fonction de procureur et la fonction de juge n'est pas honorable du tout. Car, pour fonctionner, la justice a besoin d'un juge rigoureusement indépendant.
Or, bien entendu, l'accusation dépend du gouvernement qui lui donne, et c'est normal, des priorités, des directives générales, des instructions plus ou moins précises. L'accusation, qui a pour fonction de débusquer le délinquant, n'est pas "objective" comme un juge doit l'être. Un procureur va avoir tendance à considérer que les preuves sont suffisantes. Alors que le juge doit arborer une moue dubitative et examiner si, effectivement, les preuves tiennent vraiment le coup.

A dire vrai, l'avis de la Cour Européenne des Droits de l'Homme n'est pas vraiment une nouveauté. En mai 2009, dans l'affaire d'un trafiquant de drogues arrêté par la Marine Nationale, la CEDH avait déjà condamné la France pour des raisons similaires.

On peut tirer deux conclusions de ces condamnations de la CEDH.

Une conclusion qui consiste à dire que les procureurs doivent être indépendants. Ce qui me semble très dangereux parce que je ne vois pas pourquoi un corps de métier, fût-il diplômé, aurait le droit de décider des poursuites sans être contrôlé par personne.

Une seconde conclusion (conforme au droit anglo-saxon, entre autres) qui consiste à dire que seul le juge est un vrai magistrat indépendant et qu'il doit être saisi dès qu'un citoyen est retenu, dès le début d'une enquête afin de voir si c'est conforme aux lois et aux suspicions déjà présentes dans le dossier. On en reparlera.

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