20/08/2011

la preuve par le groupe (suite)

groupe.jpegSelon nos informations, dans l'affaire du "petit lynchage raciste" à Villeneuve d'Ascq, les quatre prévenus condamnés dans la soirée du 17 août à Lille ont interjeté appel. Restent les interrogations...


Les interrogations du journaliste par exemple. La "comparution immédiate" est de plus en plus pratiquée y compris pour des affaires compliquées. Si on lit le code de procédure pénale, une affaire grave et complexe devrait bénéficier d'une instruction. Toutefois, inutile de s'en offusquer, pour des raisons entre autres budgétaires, il y a longtemps que la justice privilégie la "comparution immédiate": plus vite, plus efficace, avec des coupables jugés et condamnés en temps réel, des victimes prises en compte immédiatement, etc. Certes, les investigations n'ont pas eu le temps d'aller véritablement dans tous les coins mais la "comparution immédiate", selon l'appareil judiciaire, vaut bien mieux qu'une instruction qui s'éternise.

Tout ça n'arrange pas toujours le journaliste. Car, lui-aussi, écrit en temps réel. Dans cette affaire de Villeneuve d'Ascq, on parle d'affrontements entre deux bandes qui pourraient être constituées sur base ethnique. Qu'en est-il vraiment? Certes, les mis en cause, y compris ceux relâchés, sont tous d'origine africaine.

Pour Me David Pawletta, qui représente le jeune homme d'origine nord-africaine tabassé, c'est indéniablement un lynchage et l'avocat a même déclaré à l'audience que cela lui rappelait Berlin dans les années trente. Son argument essentiel: la victime a été rossée par un groupe comptant jusqu'à quinze personnes uniquement parce que, en tant que Nord-Africain, le jeune homme a été assimilé à l'autre bande. Sur la base donc uniquement de sa couleur de peau à lui.

Complexe pour un journaliste qui rend compte. Car on ne sait rien ou presque de cette autre bande. L'existence d'une autre bande et d'un affrontement un peu plus tôt dans la même journée semblent attester et la victime cite même un nom... Mais on n'en saura guère plus.

Complexe aussi pour le journaliste de parler de la victime. Le jeune homme a été frappé à de multiples reprises, il a perdu plusieurs dents, il n'arrive pas à s'exprimer facilement à l'audience tant la douleur morale et physique reste forte quelques jours après le tabassage. Or, l'expert légiste ne lui "donne" que deux jours d'ITT. Ce qui semble pour le moins peu. Dans d'autres occasions (violences sur des policiers ou violences sur des femmes), on pourrait croire que les jours d'ITT seraient moins chichement mesurés. Pour les violences conjugales, certains experts évoquent d'ailleurs également le "ressenti" de la victime pour ajouter aux jours d'immobilisation.

Me Pawletta annonce que d'autres expertises seront demandées. Mais, là aussi, le journaliste est obligé de rester un peu flou étant donné la rapidité de la comparution immédiate.

On sait donc que Me Delphine Sion et Me Charles Lecointre, en défense, contestent toujours la culpabilité des quatre prévenus. Si l'appel est vraiment déposé (restons prudent!), on reparlera donc de cette affaire un peu exceptionnelle, heureusement, à Lille et dans les environs.

Ceci dit, l'appel ne nous en apprendra probablement pas beaucoup plus: les prévenus ne sont pas poursuivis avec la circonstance aggravante de motifs racistes et aucun élément matériel d'enquête supplémentaire n'arrivera dans le dossier puisque nulle investigation supplémentaire n'a été demandée, y compris par la défense. La "comparution immédiate" en appel restera donc un dossier rapidement constitué, avec ses qualités et ses défauts.

Didier Specq

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