19/04/2012
L'art de la comparution immédiate
La "comparution immédiate", c'est la procédure qui est devenue la procédure reine, en matière pénale, dans les tribunaux de France et de Navarre. Une sorte de vitrine.
Le procureur dispose d'un énorme pouvoir: il poursuit, il choisit l'incrimination, il classe sans suite et, surtout, il choisit la procédure. C'est un pouvoir tellement énorme que personne n'en parle. Soyons clairs: sur les mêmes faits, le procureur peut ordonner l'ouverture d'une instruction (c'est la procédure de plus en plus rare car elle est très chère; de plus, elle est longue car le juge d'instruction examinera l'affaire à charge et à décharge), une procédure rapide du type convocation par procès-verbal (vous serez convoqué dans quelques semaines ou mois et vous ne risquez guère l'incarcération le jour du jugement), la comparution immédiate où le suspect sort de garde à vue pour rejoindre immédiatement les geôles du Palais de Justice et le box des prévenus.
Dans ce dernier cas, l'instruction du dossier est très modeste puisqu'elle se réduit aux pièces fournies par les enquêteurs et l'accusation et à l'exposé du dossier par le président de la chambre correctionnelle (les deux assesseurs, dans l'immense majorité des cas, prennent connaissance du dossier en écoutant le président!). La comparution immédiate, du point de vue des magistrats, a un immense avantage: elle montre à quel point la justice est réactive et sait rendre "lisible" immédiatement une peine par les délinquants. "Détail": gros risque de prison pour les prévenus car l'acte de délinquance s'est déroulé généralement deux jours avant la comparution immédiate et le procureur a sélectionné les affaires les plus graves pour les faire passer en comparution immédiate.
Par ailleurs, le prévenu est fatigué et pas très net (il vient de passer plusieurs jours en garde à vue), il n'a pas les documents sous la main qui pourraient démontrer à quel point il est inséré et la victime a été fraîchement blessée (s'il s'agit d'une affaire de violences par exemple). Théorème de justice qu'il faut toujours garder en mémoire: plus la date de jugement s'éloigne des faits, plus la condamnation sera douce comme l'ont très bien compris les artistes de la délinquance financière.
Comme la comparution immédiate est devenue la vitrine de la justice pénale, tout désormais peut passer en comparution immédiate. Les faits anciens, les faits pas graves, les faits trop complexes qui mériteraient une instruction. Démonstration avec l'audience des comparutions immédiates de mercredi au tribunal de grande instance de Lille.
D'abord, cette petite dame qui passe son temps à injurier Nicolas Sarkozy. Il semble que ce soit la mort d'un proche qui l'a fait basculer dans la déprime. On ne sait pas trop car l'expert psychiatre n'a pas encore eu le temps de remplir son office (les experts n'ont pas du tout le rythme de la comparution immédiate et comme la justice, faute de budget suffisant, les paye avec des élastiques...).
Toujours est-il qu'à Paris la petite dame a déjà pris six mois de prison ferme (mais non effectués en détention) pour avoir envoyé à l'Elysée des lettres accompagnées de balles de 22 long rifle.
A Lille, où elle s'est réfugiée chez sa mère, la petite dame, dès qu'elle passe près d'un ordinateur, envoie par internet vers le site de l'Elysée des menaces à Nicolas Sarkozy, son épouse et sa fille. Elle ne peut être jugée tout de suite, elle échappe à la détention provisoire tout de même. Méritait-elle la comparution immédiate?
Dans la même audience, ce groupe de cambrioleurs est accusé de 27 délits différents. Chez la mère de deux des prévenus, il semble qu'on ait retrouvé dans un coffre 300 kg de bijoux volés. Une grosse affaire bien complexe qui, à l'évidence, aurait été suivie d'une instruction voici quelques années. Ici, le dossier arrive en comparution immédiate, ce qui permet d'exposer tout de suite le travail de la police et de la justice. En revanche, le président se fâche un peu car il ne peut étudier sérieusement ce dossier qu'il renvoie illico à plus tard. L'affaire devait-elle surgir en comparution immédiate?
Même audience cette fois avec une vilaine agression. Un jeune homme explique qu'on a agressé son père, fin décembre dernier, et qu'il a tabassé au hasard un autre jeune qui passait dans ce secteur de Roubaix et qui n'avait strictement rien à voir avec les faits. Sa comparution "immédiate" est bien tardive alors que les faits étaient connus depuis longtemps puisque l'agresseur, réalisant après coup (c'est le cas de le dire) sa méprise, s'était excusé en personne auprès de sa victime hospitalisée. Le prévenu échappe à la prison réelle puisqu'il écope d'une peine de prison ferme mais sans mandat de dépôt. Mais cette affaire est tout sauf immédiate.
Enfin, dernier exemple pris dans cette audience, une "vraie" comparution immédiate avec un Lillois qui, deux jours avant son jugement, pique une voiture, vole des cartouches de cigarettes dans une station-service puis revient chez lui (où on l'arrête) pendant que l'auto dérobée flambe à deux pas de là. Trois ans avec mandat de dépôt.
On voit donc que l'audience des comparutions immédiates est composée comme un tableau par le procureur pour, à partir des dossiers qui arrivent au Palais, montrer l'activité de la justice pénale. Une sélection en quelque sorte... Bien sûr, les protagonistes de ce tableau vivant n'ont pas obligatoirement le même point de vue sur les choix opérés.
Didier Specq
09:47 Publié dans Garde à vue, Justice | Lien permanent | Commentaires (0)
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