19/07/2012
Circoncision: le débat caché
Les conséquences explosives françaises du débat allemand.
Autant le dire tout de suite: la France n'échappera pas au débat qui s'instaure en Allemagne autour de la circoncision rituelle. Rappelons les faits: le tribunal de grande instance de Cologne (photo), saisi d'un cas précis d'une circoncision pratiquée en milieu médical, a condamné les circoncisions religieuses parce qu'elles "portent atteinte à l'intégrité physique de l'enfant". Et d'ajouter: "le corps d'un enfant est modifié de façon durable et irréparable par la circoncision. Cette modification est contraire à l'intérêt de l'enfant qui doit décider par lui-même de son appartenance religieuse. Le droit d'un enfant à son intégrité physique prime sur le droit des parents en matière d'éducation religieuse".
D'après les journaux, cette décision a provoqué un tollé en Allemagne notamment chez les responsables religieux juifs. Rappelons que la circoncision est une obligation dans la religion juive. Et ajoutons que, contrairement à ce qu'on dit souvent, le Coran n'exige pas du tout la circoncision qui est un coutume pré-islamique. Angela Merkel aurait dit: "Je ne veux pas que l'Allemagne soit le seul pays au monde dans lequel les Juifs ne peuvent pratiquer leurs rites". Elle voulait sans doute parler des Juifs religieux car, bien entendu, chacun a le droit d'avoir les rapports qu'il veut avec la religion qu'il s'est choisi ou qu'il ne s'est pas choisi, ou qu'il n'a pas, ou qu'il ne pratique pas intégralement.
Ceci dit, la réalité est là: la circoncision, sur les bébés et les petits garçons, est vécue comme une exigence rituelle par beaucoup de Juifs ou de Musulmans.
Que dit la loi française? Pas grand-chose. Bien sûr, les violences sont interdites sur les enfants et encore plus les modifications corporelles. Mais on admet l'existence de "rituels" non prévus par la loi.
Généralement, en France, même quand on découvre un bébé blessé à l'occasion d'une circoncision rituelle qui a mal tourné, on observe un silence pudique. Des enquêtes sont parfois déclenchées mais on apprend souvent quelques mois plus tard que le dossier a été enterré.
A Lille, une affaire très significative a pourtant été jugée publiquement. Le 15 juin 2010, un homme se présentant comme médecin (il avait des diplômes algériens et syriens non validés en France) avait pratiqué, à la demande de parents tourquennois, une circoncision artisanale sur un bébé. L'enfant avait failli mourir: en un mot comme en cent, la cicatrisation se passait mal et il se vidait progressivement de son sang.
Le père, affolé, avait fini par conduire directement son fils au CHR de Lille qui l'avait sauvé. Les parents avaient porté plainte. Pour eux, qui ne contestent bien sûr pas la circoncision, ils avaient été trompé par celui qui avait pratiqué la circoncision et s'était présenté comme un médecin, ce qui avait rassuré les parents.
D'ailleurs, devant les juges, le prévenu éprouvait de grandes difficultés à ne pas se présenter comme médecin. Mais l'homme, recommandé par certaines mosquées et facturant 150 euros chaque circoncision, n'a pas été jugé vraiment pour ça.
Le débat s'est porté ailleurs et montre les contradictions du droit français et les hésitations des magistrats. D'abord, il est renvoyé devant le tribunal de grande instance de Lille par le procureur. Mais Jean-Francis Créon, le procureur présent à l'audience, sans rien nier bien sûr du danger mortel subi par le bébé, estime qu'il s'agit d'un rituel et donc que le prévenu ne doit pas être condamné. Relaxe à Lille.
Mais un appel est pourtant interjeté par le parquet! Et, à la Cour d'Appel de Douai, Patrick Leleu soutient l'accusation et demande la condamnation. Le 15 juin 2010, Mazen M., 55 ans, est cependant à nouveau innocenté.
Pour Me Abderhamane Hammouch, qui assiste les parents, c'est anormal: "Va-t-on attendre la mort d'un bébé pour faire quelque chose?" s'indigne-t-il. Pour Me Florence Meilhac, qui défend Mazen M., c'est parfaitement normal: "Il y a une tolérance en France en raison du fait religieux. On n'a jamais vu un parent, un rabbin ou un pratiquant religieux être traîné devant les tribunaux pour avoir pratiqué une circoncision".
On notera tout de même que, dans ce cas précis, la vérité des faits est singulièrement bousculé par les aléas juridiques. D'abord, puisque c'est un rituel, on ne peut poursuivre pour exercice illégal de la médecine même si l'homme ayant pratiqué la circoncision s'est présenté comme un médecin et s'est fait payé! Ensuite, comme c'est un rituel, on ne peut pas non plus poursuivre pour des blessures volontaires alors que, de toute évidence, le bébé a bel et bien été blessé... Ajoutons que, s'il s'agissait de blessures volontaires, les parents devraient être poursuivis également puisqu'ils ont "ordonné", en quelque sorte, l'opération. Or, si on les poursuit, on risque dans l'avenir d'empêcher des parents, par peur de la justice et de la police, d'appeler à temps les secours à la rescousse. Il est donc urgent de légiférer.
D'autant plus urgent que la Sécurité Sociale, par souci des économies à opérer, traque les faux "phymosis" qui servent à opérer des bébés en milieu médical (et à se faire rembourser des frais) alors qu'il n'existe aucune raison médicale de le faire. C'est pour cette raison, purement économique, qu'on note une recrudescence des circoncisions artisanales, hors milieu médical.
Bien sûr, en France, au delà de la discussion sur les prescriptions rituelles qui seraient au dessus des lois communes de la République, on va devoir discuter un jour du remboursement par les finances publiques de ces actes qui ne devraient être accomplis de toutes façons qu'en milieu médical. Espérons qu'on n'attendra pas la mort d'un petit garçon pour aborder ce problème et trouver les solutions!
Didier Specq
09:42 Publié dans Justice, religion | Lien permanent | Commentaires (6)
Commentaires
Article parfait sur une affaire detestable.
Ces coutumes prehistoriques - indispensables en des temps reculés ou l'hygiène etait inconnue - devraient disparaître.
En 2012, elles prospèrent sur l'ignorance des fidèles qui s'y accrochent comme à de la magie.
mettre en danger la vie d'un bébé pour un petit bout de peau est inacceptable. La Securité sociale devrait d'ailleurs se livrer à des contrôles et le faire savoir auprès des medecins qui seraient demarchés par les parents pour ordonner cette operation.
Écrit par : andré Delepierre | 19/07/2012
parmi les "medecins démarchés",vous en avez qui pratiquent la même "religion";de ce coté c'est perdu,c'est même déclaré à la sécu comme "maladie".
La "religion" domine tout.
Écrit par : mouss tafa | 22/07/2012
Eh bien précisément, les medecins qui se livreraient à ce petit jeu sont parfaitement repérables
Le médecin, en France, est la seule personne privée ( profession libérale) dont les actes declenchent de formidables depenses publiques. Ils sont donc très contrôlés et rappelés à l'ordre s'ils depassent les normes en vigueur.
Dans les autres pays qui ont remis leurs finances publiques et leur securité sociale en ordre, il faut, avant d'aller voir le medecin demander la circoncision d'un nourrisson, passer par un dispensaire où une infirmière fait le tri entre vrais problèmes et lubies religieuses. Ce qui permet au medecin de ne voir que ceux qui ont besoin de lui.
La circoncision etait utile au Moyen Age tellement l'hygiène etait inconnue. Elle sauvait donc des vies. Au 3e millenaire, on sait qu'elle est inutile sauf en cas de maladie venerienne comme le SIDA ou circonstances exceptionnelles.
D'autre part, en France, l'Etat a une responsabilité envers TOUS les enfants. Les parents ne sont pas proprietaires de leur progeniture, fille ou garçon, qui peuvent se retrouver mutilés pour la vie en raison de l'obscurantisme de pratiques soi disant religieuses plus basées sur l'ignorance que sur le respect de l'enfant.
Que l'on n'ait jamais vu un parent ou un rabbin traîné devant les tribunaux ne fait rien à l'affaire. Les religions ont à s'occuper de dogmes, pas de jugements moraux qui restreindraient la liberté de leurs ouailles ni de mutilations physiques.
Et bien entendu, les religions ont à vivre avec les exigences de leur epoque. Et les bebés innocents n'ont pas à subir les conséquences de l'obscurantisme de religieux, surtout ceux qui se font payer 150 euros pour la mutilation qu'il sont subir à des nourrissons. Nous n'avons pas envie de participer par nos impôts à la mutilation d'enfants innocents.
Écrit par : Odeladeule | 22/07/2012
pour la circoncision, je ne ferai pas de commentaires, c'est un choix, mais à faire surtout par des personnes expérimentées et dans le milieu médical, même si pas remboursé par la sécu... mais en revanche je suis CONTRE l'excision !!! c'est une mutilation et une souffrance terrible pour la pauvre fille et il y en a encore beaucoup dans le monde et même chez nous !...
Écrit par : Brigitte Savary - Triou | 23/07/2012
Plusieurs choses: chez les juifs, la circoncision est faite sans cout pour la sécu, les circonciseurs agissant à titre bénévole; beaucoup sont médecins.
Si on décide d'interdire toute mutilation ou modification sur des personnes non majeures, on interdit du même coup: les oreilles percées des bébés filles, les piercing et tatouages des ados, le recollement des oreilles des enfants et adolescents, sans parler de même leur coupes les ongles et les cheveux!
Écrit par : Clara | 04/08/2012
Chère Clara,
C'est le code civil qui interdit toute altération du corps humain y compris quand celui qui veut modifier son corps (sans but thérapeutique attesté par un médecin) est majeur. Il est donc impossible, légalement, qu'un mineur soit "piercé" ou "tatoué" y compris avec l'autorisation de ses parents. Il existe une tolérance pour les "piercés" et les "tatoués" majeurs.
Bien entendu, la coupe des ongles et des cheveux n'a rien de durable et est parfaitement autorisée! De même que le recollement des oreilles qui a un but thérapeutique (de chirurgie esthétique). Effectivement, il existe une tolérance traditionnelle pour les oreilles percées des petites filles.
La circoncision pour les mineurs n'est possible que parce que c'est un "rituel" comme l'explique la jurisprudence des tribunaux. Mais, comme récemment en Allemagne, cette jurisprudence peut éventuellement se retourner.
Par ailleurs, en ce qui concerne le remboursement, vous pouvez taper "circoncision remboursement lille" sur Google et vous verrez facilement comment certains contournent la réglementation en arguant d'un phimosis...
D.S.
Écrit par : didier specq | 04/08/2012
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