24/07/2012
Apartheid urbain
Huit grandes villes françaises auraient eu la possibilité...
Durant toute l'année 2011, à diverses reprises, l'ancienne ministre de l'écologie avait annoncé que huit grandes villes françaises (Lille n'était pas dans la liste) allaient avoir la possibilité d'interdire la circulation de certains véhicules dans leurs centres villes. On avait trouvé le nom du dispositif: ZAPA, autrement dit Zone d'Action Prioritaire pour l'Air.
Dans le collimateur, un certain nombre de véhicules réputés plus polluants que d'autres. La liste était à géométrie variable mais les "diesel de plus de dix ans", certains deux roues anciens voire les véhicules de collection se retrouvaient régulièrement dans le collimateur.
Cette loi ZAPA était présentée partout comme certaine; personne n'employait plus le conditionnel quant à son application. La semaine dernière, très discrètement, le gouvernement a annoncé que la loi était envoyée aux oubliettes. Les responsables politiques, les organismes divers et variés, les responsables de colloque qui en avaient tant parlé sont restés curieusement silencieux.
C'est que cette loi, avec une naïveté confondante, alignait une série impressionnante de poncifs de la bien-pensance contemporaine.
D'abord, on peut se scandaliser que la loi, sur le territoire de la République, ne soit pas la même pour tous: pourquoi les centres villes (sans doute réservés au tourisme et aux achats dans les boutiques franchisées) devraient être particulièrement protégés de la pollution alors que les banlieues, zones industrielles, vallées encaissées et mal ventilées, petits bourgs, zones rurales à proximité des rocades et autoroutes pourraient respirer à pleins poumons les "bonnes" particules lâchées par les "diesel" et les vieux moteurs? Certes, il n'y a pas si longtemps les mêmes bien-pensants encourageaient l'achat de "diesel" y compris pour de toutes petites voitures, voire leur délivraient tranquillement des labels "verts"! Bref, l'apartheid social (que l'on peut constater dans la plupart des centres villes qui cumulent tous les transports collectifs payés pourtant avec les impôts de tous les citoyens alors qu'une banlieue est souvent desservie par une unique ligne de bus) était en marche y compris pour la pollution.
Naïveté aussi que cette façon d'accabler les véhicules anciens: comme si un véhicule ancien de petite cylindrée n'était pas éventuellement moins polluant qu'un véhicule neuf (souvent plus gros et transportant des technologies nouvelles, inutiles et lourdes) surtout si l'on tient compte de l'empreinte écologique nécessaire à sa construction!
Pas un mot bien sûr sur le reconditionnement éventuel des véhicules anciens avec un moteur moins polluant ou non "diesel". On sent bien qu'il ne s'agit pas du tout d'économiser mais de forcer les citoyens à acheter un véhicule neuf sans se préoccuper des conséquences écologiques de cette nouvelle ponction sur les énergies et les matières premières.
Pas un mot bien sûr sur les véhicules autonomes électriques qui seraient moins polluants qu'un véhicule léger à essence puisque, malgré l'inefficacité récurrente des batteries électriques de ces autos, on continue à brandir comme souhaitable et très prochaine la reconversion vers les voitures électriques alors que n'importe quel responsable un peu responsable sait que leur autonomie et leur rechargement restent problématiques. Il est vrai que pour un habitant des centres villes la voiture électrique n'est pas polluante: elle se contente de polluer là où est produite l'électricité et où vivent souvent les plus pauvres...
Bref, cette loi ZAPA cumulant les naïvetés a été envoyée aux oubliettes. On peut regretter cependant qu'aucun débat public n'ait existé sur cet abandon.
Didier Specq
08:55 Publié dans Justice, Politique | Lien permanent | Commentaires (6)
Commentaires
Curieuse sortie de Didier Specq. A le lire, il ne faudrait surtout pas agir pour limiter l'afflux en centre ville de vehicules très polluants. D'autre part, la loi qui va restreindre - un jour ou l'autre - la circulation de ces engins polluants n'est pas "naïve" (?) ni le "reflet de la bien pensance contemporaine". A moins de considérer que l'Union européenne, les autorités sanitaires, les ministres de l'environnement et de plusieurs pays ont cédé aux poncifs en legiferant contre la production de gaz toxiques et de micro particules sous le nez des pietons
ou de cyclistes.
Ceux qui viennent dans les centre villes avec leur voiture personnelle polluent au maximum car les moteurs sont au ralenti, les vehicules avancent comme des escargots dans des rues etroites et ou les trottoirs proches ou très proches de la chaussée. Et les moteurs diesels sont carrément dangereux même avec les pots d'echappement speciaux. C'est pour cette raison qu'à Londres, Amsterdam, Bruxelles, Stockholm, Copenhague, Zurich etc, des restrictions sont apportées à la circulation des vehicules les plus polluants. Personne ne s'en plaint En France, d'autre part, l'encouragement à rouler au diesel venait de l'Etat qui taxait moins le carburant diesel que l'essence mais aussi du du lobby automobile si puissant que le gouvernement actuel va utiliser nos impôts pour favoriser l'achat de voitures à neuves aux happy few qui en ont le moyens au titre de la protection de l'environnement. Consequence, les cyclistes attendront dont la prime à la casse pour leur becane mais leurs impôts serviront à M le bourgeois qui s'achetera une puissante voiture hybride japonaise
Écrit par : Odeladeule | 29/07/2012
Il ne s'agit pas non plus d'apartheid social puisque les transports en commun ( à Lille des autobus à gaz de ville) ou le metro permettent d'acceder au centre sans produire une seule microparticule diesel ni oxyde d'azote. C'est d'ailleurs le point oublié par D Specq. Ceux qui tiennent absolument à venir en centre ville avec leur voiture habitent par definition soit en banlieue verte à proximité des golfs et de leurs piscines soit très loin mais tiennent par-dessus tout à arriver à Lille sans quitter un seul instant leur precieux sam suffit à 4 roues. C'est precisement leur refus de cotoyer le vulgum pecus des transports en commun qui leur fait prendre leur voiture personnelle. C'est aussi le moyen de montrer sa richesses. BMW 4 X 4, Mercedes monstrueux, ou Land Rover avec pare chocs anti buffles
Écrit par : Odeladeule | 29/07/2012
Cher Odeladeule,
Vous avez lu mon billet en diagonale. Je ne critique pas les mesures anti-pollution en général, je critique des mesures anti-pollution qui ne s'appliqueraient que dans certains centres villes alors que d'autres secteurs du territoire sont largement aussi pollués par la circulation automobile. Je m'étonne aussi des cibles visées qui changent selon les modes du moment. Je m'étonne du manque d'évaluation sérieuse de la pollution comparée d'un petit véhicule à essence et d'un petit véhicule électrique. Je m'étonne enfin qu'on ne parle jamais de la remotorisation (avec un moteur essence ou GPL) d'un véhicule ancien qui est bien moins énergivore et polluante que l'achat d'un véhicule intégralement neuf et souvent plus gros et lourd. Mon point de vue ne doit pas être si étonnant d'ailleurs puisque les ZAPA ont été envoyées aux oubliettes. Par ailleurs, je n'ai vraiment rien contre les transports en commun et les vélos, au contraire.
D.S.
Écrit par : didier specq | 29/07/2012
Au plan du style D Specq montre l'habileté de celui qui frequente les pretoires et sait reexpliquer les arcanes du droit en termes clairs dans un style limpide. Ce qui n'est pas toujours le cas du style des jugements prononcés. Mais bon sang ne saurait mentir, le titre est bien "Apartheid" ( separation en afrikaans) à propos de l'interdiction qui serait faite à certains vehicules fort polluants à acceder au centre ville. Ce titre – émotionnel – rappelle le combat de N Mandela . Et surtout il est très fort et choisi à dessein. En un mot comme en cent, on priverait donc de liberté certains conducteurs non pas pour leur couleur mais pour leur carte grise. Et que le sacro saint principe de liberté serait donc valable dans tous les lieux de la Republique française.
C'est contre le devoiement de cette liberté que le droit et la Loi prevoient des limites à son exercice. Ainsi, la loi interdit de se poser sur le Mont Blanc en helicoptère. Le droit maritime oblige les cargos et tankers à suivre des routes très précises au large des côtes dangereuses. Elle contraint les vehicules à rouler à 30 50 90 km/h sur certains axes. Personne ne proteste sauf les cinglés outrés qu'on puisse limiter l'exercice de LEUR liberté. Pauvre liberté qui "s'arrête - on le sait- là où commence celle des autres".
Les pietons qui marchent en centre ville, les mères de famille avec landaus et enfants en bas âge, les personnes âgéees, les riverains, les touristes et les habitants des centres villes ont qui ont choisi le "pedibus cum jambis "ont droit à un air de qualité, ce qui immanquablement amènera la limitation stricte de l'usage de la voiture dans tous les quartiers des villes; comment faire autrement quand près de 300 000 vehicules entrent tous les jours à Lille et specifiquement dans la vieille ville construire par les Espagnols et par Vauban ?
Appelons en conclusion aux mânes de Montalembert qui ecrivait vers 1850,
"Entre les fort et le pauvre, entre le maître et ses serviteurs, entre le riche et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit Le droit est l'épée des Grands et le devoir le bouclier des petits". Probablement, l'une des phrases les plus importantes du 19e siècle avec le discours de Lincoln après la bataille de Gettysburg et le texte des Misérables.
Il faut garantir à tous le droit imprescriptible de respirer un air de qualité. Cequi conduit à limiter le droit de circuler en vehicule polluant 4 X 4 BMW ou 504 Break diesel hors d'âge. D Specq nous rejoindra sur ce point, c'est sûr.
Écrit par : Odeladeule | 30/07/2012
Cher Odeladeule,
Vous savez, les journalistes ont parfois tendance à forcer le trait. Apartheid est effectivement un mot exagéré. Je voulais simplement tenter de dire que, sous prétexte de mesures écolos par ailleurs fondées partout, il ne fallait pas créer, ou contribuer à créer, des zones dans les centres villes dont l'accès serait rendu difficile aux plus modestes.
Ainsi, par exemple, je n'ai toujours pas compris qu'un électeur lillois puisse payer dans son quartier 2,5 euros avec sa carte Isla l'occupation pendant 24 h d'une place de parking public alors qu'un autre habitant de la communauté urbaine doit régler 2,5 euros (somme maximum) pour 1 h 30. En d'autres termes, on dit par exemple à l'habitant d'Halluin: "Vous venez à Lille effectuer une démarche administrative, vous n'avez pas le droit de l'effectuer en plus d'1h30 sinon vous aurez une contravention de 17 euros! Non, il n'y a pas égalité des droits et des devoirs comme le prétend un principe républicain de base!". Bien sûr, les électeurs lillois sont plutôt d'accord avec cette discrimination puisqu'ils en sont les bénéficiaires.
Cher Odeladeule, je vous remercie par ailleurs de vos remarques amicales.
D.S.
Écrit par : didier specq | 01/08/2012
Ouhhh, quelle bataille entre D.S. et Odeladeule !!!!
Franchement, si j'ai cliqué sur cet article, c'est parce que le titre a accroché mon attention. Je n'y ai rien vu de plus qu'un titre de journaliste. Pour la suite de l'article, je suis tout à fait d'accord avec ce côté complètement injuste, où on essaye toujours de ménager les susceptibilités de tout le monde (plus précisément, des commerçants, des élus, des conducteurs de voitures électriques qui polluent par leurs ondes électro-magnétiques mais visiblement tout le monde s'enfout...) Les communes de France, au Nord comme au Sud, n'ont jamais été capables d'instaurer des mesures pour tout le monde. Je veux dire, pour imposer une taxe en 48h à toute la France pour récupérer un peu d'argent en plus des sommes hallucinantes récupérer sur notre dos, y'a pas de problème. Mais pour imposer quelque chose qui soit bon pour tout le monde, MAIS qui demande un minimum d'effort de tout le monde, y'a plus personne. Trop peur de ne pas être réélu. Les élus de France sont notoirement des couards, des lâches et des incapables.
Merci pour cet article qui montre l'absurdité des décisions que les villes prennent à moitié donc pas du tout.
Écrit par : mimi | 15/08/2012
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