Péripéties judiciaires

Racisme

Encore une fois, des observateurs patentés nous l’assurent : le racisme progresse en France, de nouvelles digues ont sauté, les injures racistes et les incitations à la haine raciale se multiplient.

Est-ce que le racisme se banalise ? Peut-être. Mais on attend des études précises et on ne peut s’empêcher de remarquer que, à force d’enregistrer cette présumée montée du racisme depuis des années, on devrait, depuis le temps, vivre dans une toute autre société. Passons.

La dernière indignation vise « Minute », périodique plutôt confidentiel d’une certaine extréme-droite.

On connaît sa « une » qui a été déployée sur tous les écrans, bien au-delà de la diffusion réelle de ce journal. Et chacun de presser le gouvernement, Christiane Taubira, Manuel Valls de faire « quelque chose » et, notamment, de s’adresser aux juges pour obtenir la condamnation de Minute.

A dire vrai, nous ne voyons vraiment pas comment des juges pourraient démontrer l’intention raciste des rédacteurs de Minute. Soulignons que, pour des magistrats, il s’agit bien de trouver une preuve, de soutenir une argumentation juridique, de caractériser un délit méritant condamnation et pas de construire une démonstration idéologique a priori.

Or, dans le cas qui nous occupe, la mise en cause sur la base de présupposés racistes de Christiane Taubira n’est guère évidente. Dire qu’elle a la banane ? On voit d’ici les rédacteurs de Minute et leurs avocats expliquer que cette expression populaire n’a rien de péjoratif et souligne au contraire la pleine forme de la ministre. Elle est maligne comme un singe ? Mêmes arguments pour assurer que ça n’a rien de méchant, au contraire…

Bien sûr, on peut toujours trouver une argumentation juridique et assurer que de tels propos sont légalement des incitations à la haine raciale. Mais cette forme d’humour n’est-elle pas celle pratiquée par exemple par Charlie-Hebdo ? Il suffit de consulter les "une" de cet hebdomadaire pour s'en convaincre. Ou bien, autre exemple, ne peut-on pas trouver dans des revues féministes des généralisations sexistes à l’égard des hommes ?

Et, sur le fond, n’est-il pas dangereux de vouloir imposer aux juges une sorte de rôle d’arbitres des élégances morales ? La liberté d’expression, sauf en cas de preuves incontestables de propos à visée raciste, ne se divise pas sous peine, un jour, de voir la répression s’abattre sur d’autres que Minute.

Didier Specq