24/01/2015
La fatigue de l'élève-citoyen
Ainsi donc, l'élève va se retrouver sur la ligne de front pour lutter contre... un peu tout.
La hiérarchie de l'éducation nationale, poussée par ses enseignants, a bien dû reconnaître, après les attentats récents contre Charlie-Hebdo, des policiers et des Juifs, que la minute de silence observée après les premiers faits -manifestation apparemment évidente après un tel drame- n'était pas si évidente que ça dans beaucoup d'établissements.
Et pas seulement dans les écoles des "quartiers" puisque "quartier", dans la nov'langue en vigueur, signifie en réalité quartier pauvre où demeurent beaucoup de gens issus d'immigrations plus ou moins récentes.
On s'émeut et, donc, on prend des mesures. Tout ça coûtera 250 millions d'euros sur trois ans, ajoute-t-on, comme si cette petite saignée des finances publiques était la preuve que c'était du sérieux.
Le problème, c'est que l'école, en deux ans, a déjà été "refondée" par le ministre Peillon qui a voulu à toutes forces chambouler les horaires, eux-mêmes chamboulés quelques années auparavant par Nicolas Sarkozy. L'ex-président de la République avait deux ans auparavant, on s'en souvient, fait sauter les cours du samedi matin dans les écoles primaires. Mesure réduisant le temps de travail des instituteurs alors que ces derniers ne demandaient pas ça du tout...
Bref, depuis l'arrivée de François Hollande, l'école a été "refondée" dans ses rythmes horaires. Ensuite, l'école a connu une polémique, certes gonflée artificiellement, sur le combat engagé, dès l'enfance, contre les préjugés sexistes et homophobes.
Quelques mois encore et on annonce que les notes seront supprimées. Quelques mois encore et les mêmes proclament, après la série d'attentats commencée par l'exécution de la rédaction de Charlie-Hebdo, que, cette fois, la discipline va être rétablie. Décidément, l'apprentissage de la vie de citoyen par l'élève lambda ne connaît guère de périodes sans rebondissements.
Les grands lignes du nouveau plan de Najat Vallaud-Belkacem se divisent en trois parties détaillées avec talent par la Ministre de l'éducation nationale. Mieux discuter avec les parents: c'est ce que font déjà les enseignants, pas assez sans doute mais, bon, il ne s'agit pas d'une nouveauté saisissante. Ajoutons qu'une des nécessités de ces dialogues, c'est que les parents y participent. Car, si les enseignants ne font pas toujours correctement leur travail, il n'est pas sûr non plus que les parents fassent toujours correctement leur boulot.
Ensuite, la transmission des valeurs de la République. Une journée de la laïcité, des formateurs en laïcité, voire même des cours sur le fait religieux. On nous permettra d'être très sceptique. Rétablissement des cours d'instruction civique que nous croyions, dans notre grande naïveté, déjà rétablis depuis longtemps.
Enfin, le noyau dur: la lutte contre les ghettos. Comme ces plans de lutte contre les quartiers sont régulièrement annoncés depuis presque quarante ans, on nous permettra de sourire aussi. Le dernier en date, c'était le plan de Fadela Amara, ministre de Sarkozy, qui nous promettait un "plan marshall" des banlieues. A part remettre en mémoire des bons élèves le vrai plan Marshall, il ne semble pas que l'efficacité ait été au rendez-vous.
Peut-être d'ailleurs pour une raison simple: avec des millions de chômeurs, les quartiers pauvres -et pas seulement les quartiers où les populations venues de l'immigration sont nombreuses- sont forcément en première ligne de la misère et de l'exclusion. D'ailleurs, il a été démontré que ces quartiers étaient l'objet de déménagements très nombreux: quand ils le peuvent financièrement, beaucoup s'empressent de les quitter, ce qui renforce en retour la ghettoïsation de ces quartiers. Dans le même temps, les écoles, les collèges et les lycées les plus pauvres sont l'objet d'un forcing permanent: les parents les plus aisés ou les plus informés retirent leurs enfants de ces établissements scolaires, ce qui ne peut que renforcer là-aussi la ghettoïsation. Et là, sur ce noyau dur de la supposée lutte contre les ghettos, force est de constater que c'est le grand vide. C'est dur d'être un élève-citoyen.
Quelques années plus tard, il suffira de se rendre dans un tribunal pour s'apercevoir que les "clients" des comparutions immédiates viennent préférentiellement de ces ghettos sur-représentés dans la délinquance de rue.
Didier Specq
23:21 Publié dans discrimination, Justice | Lien permanent | Commentaires (0)
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