25/12/2010

Dessiner, c'est toujours permis

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A priori, gribouiller avec son crayon sur une feuille de papier, ça semble une liberté tellement de base qu'on ne pense même pas à l'inscrire sur la liste des libertés démocratiques ou des droits de l'homme. Et pourtant, en France...


Actuellement sont jugés aux assises à Paris plusieurs responsables de l'organisation séparatiste basque ETA. Bien sûr, ils sont présumés innocents, ils ne sont pas membres de l'ETA, ils n'ont jamais rien fait, etc. L'un de ces mis en cause, le 23 novembre dernier, Emikel Albizy Iarte décide que la présence du dessinateur de l'A.F.P., avec son crayon et son bloc à croquis, est une grave atteinte à son image, sa vie privée, sa dignité, etc. Une des multiples provocations sans suite dans ce genre de procès? Pas du tout, contre l'avis de l'avocat général, le président Philippe Vandingenen décide de donner raison à l'accusé. Et le dessinateur de l'A.F.P. de devoir quitter la salle. Restons polis: cette décision est très discutable et l'évènement, à part dans l'Express, a été entouré d'une charitable discrétion.

Pourquoi c'est discutable? D'abord parce que, dans une démocratie, un procès est public et implique par conséquent qu'on puisse en rendre compte sous tous ses aspects. Tous les appareils d'enregistrement mécaniques sont interdits parce qu'ils troublent l'audience (ils ont d'ailleurs été autorisés jusqu'aux lendemains de la seconde guerre mondiale).

Le bloc-notes d'un journaliste (un d'un membre quelconque du Peuple Français au nom duquel les décisions de justice sont rendues), que ce bloc de papier serve à écrire ou à dessiner, n'a pas à être interdit. Notons au passage que le journaliste de l'A.F.P. ne sait pas qui il va dessiner (une ambiance, un magistrat, un autre accusé) et si son dessin va être publié. Il s'agit donc vraiment d'une atteinte à la liberté d'expression en général.

Enfin, bien sûr, sur une base juridique qui semble difficile à trouver mais passons, rien n'empêche Emikel Albizy Iarte de poursuivre l'auteur du dessin de presse une fois que ce dernier effectivement paru. Dans l'absolu, un dessinateur qui représente un accusé strictement abstinent comme un alcoolique avéré pourrait peut-être être poursuivi.

Ajoutons pour finir que, depuis des temps immémoriaux, les dessinateurs et les caricaturistes scribouillent dans les tribunaux. Mais, parfois, la tentation d'interdire, au cours d'un procès sous haute tension, est la plus forte même chez un magistrat par ailleurs parfaitement honorable. En tous cas, aucune chance que cette décision fasse jurisprudence.

Didier Specq

Commentaires

"En tous cas, aucune chance que cette décision fasse jurisprudence."
C'est à souhaiter, sinon, le plaisir ne sera plus le même à ouvrir Nord éclair chaque matin pour y découvrir le gribouillage du Specq !

Plaisanterie à part, cette décision n'est pas seulement discutable, elle est scandaleuse ! La liberté d'expression et son pendant, la liberté de la presse, ne figurent-elles pas sur ce vieux papier qui a plus de deux siècles et qu'on nomme Déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen ?

Écrit par : Darth Vader | 26/12/2010

Bonjour ,
Il y a déjà bien longtemps , au tribunal correctionnel de DOUAI , le policier de service , lorsqu'il m'a vu sortir papier et stylo , s'est rapidement approché de moi pour me signifier du geste que je ne pouvais pas me le permettre .De qui en avait-il reçu l'instruction ?

Écrit par : Bernard 27 | 26/12/2010

Cher Bernard,

De qui en avait-il reçu l'ordre? A mon avis de personne. Dans une salle d'audience, c'est le président qui est le seul maître après Dieu, qui a "la police de l'audience" comme disent les juristes. Comment dit Darth Vader, c'est scandaleux... Mais, bon, il existe des usages parfois qui laissent rêveur...

Ainsi, au tribunal de Lille, des huissiers d'audience, voici une bonne quinzaine d'années, avaient pris l'habitude, pour ne pas être dérangés, de carrément fermer vers 18 h 30 la porte du tribunal voire la porte des salles d'audience. Tout le monde, à part quelques râleurs, s'en accommodait malgré l'évidence atteinte à la publicité des débats qui est tout de même un principe de base.

Un jour, Me Eric Dupond-Moretti s'en aperçoit, demande l'aide d'un huissier et s'arrange que le dossier qu'il défendait, un couple de passeurs de drogues, passe en fin d'audience.

Quand son affaire arrive, l'huissier constate par procès-verbal qu'il ne peut rentrer dans le tribunal, Me Dupond-Moretti tonne dans la salle d'audience, déclare que l'examen de l'affaire est nulle, etc. A Lille, la présidente tortille la loi et explique que l'audience est à peu près publique puisqu'il y avait du public dans la salle d'audience. Mais, à la Cour d'Appel, les magistrats annulent tout et les deux clients de Me Dupond-Moretti ne seront jamais jugés.

Ajoutons qu'aujourd'hui, au tribunal de Lille, la publicité des débats est scrupuleusement observée et que les agents y veillent parfois très tard étant donné les audiences presque souvent nocturnes des juges de la liberté et de la détention

Écrit par : didier specq | 27/12/2010

"c'est le président qui est le seul maître après Dieu, qui a "la police de l'audience" comme disent les juristes"

Bonjour ,
Oui , mais pour un simple jeune quidam à l"époque , sans connaître davantage les droits qu 'il pouvait avoir , il n 'aurait su "tonner" , ni même essayer d 'attirer l'attention de Monsieur le Président pour lui demander un avis d'un signe de tête ou par un mot .

Permettez -moi donc de vous remercier pour votre blog
qui espérons le , est lu également par de nombreux jeunes ,surtout s'ils ne se dirigent pas vers des formations juridiques , afin qu'ils connaissent quand même le fonctionnement de notre institution judiciaire .

Écrit par : Bernard 27 | 27/12/2010

Et le dessinateur de l'AFP, il a un recours contre cette décision ou pas?

Écrit par : jackydurand | 30/12/2010

Cher Jacky Durand,

Un recours, je l'ignore. Je sais par contre que l'association des journalistes judiciaires a protesté avec véhémence et a rencontré du beau monde à ce sujet. Didier Specq

Écrit par : didier specq | 01/01/2011

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