09/01/2011
correctionnaliser les crimes, jouer avec les mots
Depuis une vingtaine d'années, de façon assez systématique, la justice française joue avec les mots. Elle transforme, à grands coups de baguette magique, les crimes en délits. Résumons.
Vendredi dernier s'achevait à Lille un procès de trois jours concernant une bande d'une dizaine de jeunes Loossois impliquée dans une série de braquages et de car-jackings. Des faits présumés graves, commis avec armes, répétés, prémédités, systématiques. Parmi les plus graves, l'attaque d'une bijouterie de la rue Le Pelletier à Lille (voir Nord-Eclair de jeudi, vendredi et samedi derniers).
Le patron de cette bijouterie, notamment, avait été attaqué au petit matin alors qu'il rangeait sa voiture dans un parking souterrain non loin de son commerce. Il avait été frappé, séquestré, forcé d'ouvrir les coffres et, alors qu'il refusait de donner une clé, son majeur avait été passé entre les mâchoires d'une pince coupante afin de le faire parler plus vite. Le doigt, au final, n'a pas été coupé mais on imagine l'état psychologique du Lillois. 50.000 euros de bijoux avaient été emportés par quatre jeunes gens cagoulés et armés. Vers 10 h, le bijoutier avait été relâché en caleçons et en chaussettes dans les rues de Ronchin.
D'autres attaques équivalentes avaient été commises par la petite bande. Tout ça pour expliquer que le moins que l'on puisse dire est que cette bande de malfaiteurs a commis des vols à main armé. Donc des crimes si l'on ouvre le code pénal. Eh bien, non, pour la justice, ce ne sont que des vols avec violences. Donc des délits passibles d'un simple tribunal correctionnel.
Grosso modo, ce dossier qui prendrait deux semaines d'examen aux assises (avec jurés, témoins convoqués, experts présents, etc) sera jugé en trois jours par trois juges professionnels. Pas de témoins, pas d'experts, pas d'enquêteurs interrogés. Tout à l'économie.
Pourquoi les acteurs de la scène judiciaire acceptent ce tour de passe? Les juges sont priés de fonctionner à l'économie, donc c'est économique.
Les procureurs sont dirigés par le ministère lui-aussi à la recherche d'économies. Les avocats de la défense vont voir leurs clients jugés avec moins de précaution: pas de témoins, pas d'experts présents, prises de paroles rapides des mis en cause qui plaident non-coupables sur tel ou tel point. Mais, au total, les clients risquent moins gros qu'aux assises. Par ailleurs, le procureur a moins le témps d'étayer ses accusations. Grosso modo, celui qui risque 15 ans de réclusion aux assises en risque plutôt 5 pour les mêmes faits devant un tribunal correctionnel. Egalité?
Pourquoi les défenseurs des parties civiles acceptent cette correctionnalisation? Parce que, pour eux, ça ne change pas grand-chose. A part que le bijoutier lillois (victime d'un crime dévalué en délit) vaut moins que l'employé de banque. Car les banques, plus puissantes, refusent la correctionnalisation. Egalité?
Ainsi va la justice à l'économie. Evidemment, dans un département du Massif Central, où les cours d'assises ne sont pas surchargées, la même affaire pourrait défrayer pendant des semaines la chronique locale devant les jurés. Egalité?
15:59 | Lien permanent | Commentaires (0)
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