06/09/2011

Le monde du silence

huis clos.jpegC'est l'histoire d'une jeune femme qui dépose une plainte bien après les faits...


Nous sommes en 2007. Elle a 26 ans et les faits que la plaignante évoquent remontent à son enfance et à son adolescence. C'est un ami de sa famille qui, presque chaque week-end, "recueillait" l'enfant chez lui. Elle avait onze ans, elle n'allait pas très bien car sa propre famille était en grandes difficultés: une mère lourdement dépressive, un père amputé et alcoolique. L'ami, ingénieur pendant 33 ans dans une usine lilloise qui a fourni des locomotives au monde entier, frise les 70 ans à l'époque mais l'homme parle très bien, évoque ses voyages, dispose d'un certain revenu, est veuf.

Bref, l'homme brillant recueille l'enfant pour, apparemment, la distraire. Après divers attouchements et exhibitions, il passe au viol presque chaque week-end pendant deux ou trois ans. L'enfant, qui au départ de son calvaire vient d'entrer en sixième, n'ose pas le dénoncer à ses parents qui la négligent et sont aidés financièrement par le "présumé innocent". A l'époque, l'agresseur, tel un nabab, reçoit plusieurs jeunes filles et fillettes qui sont aux petits soins pour lui.

Tout cela pour dire que l'instruction judiciaire se hâte lentement puisque le dossier n'est arrivé pour être examiné devant le tribunal de Lille que, hier, lundi 5 septembre (voir Nord Eclair d'aujourd'hui). A tel point que, pendant la période où le mis en cause avait été laissé en liberté (car la victime n'avait pas beaucoup d'éléments matériels pour appuyer ses accusations), le vieil homme a réussi à être condamné à au moins deux reprises pour des agressions sexuelles contre des mineures! Ce qui, on la comprend, scandalise Me Carine Delaby, l'avocate de la partie civile.

Très souvent, un huis-clos vient recouvrir d'un vol pudique ce genre d'agressions. Certes, les victimes le demandent la plupart du temps dans un réflexe de protection. Mais pas toujours, loin de là. Magistrats et avocats n'ont pas l'air de toujours comprendre que, ce faisant, on démolit un principe fondamental d'une justice démocratique: la publicité des débats. Autrement dit, le droit, pour les citoyens de base, de savoir ce qui se passe... Par exemple de comprendre comment la justice, d'un coup de baguette magique, transforme à la chaîne des viols (crimes passibles des assises) en simples agressions (délits moins chers à juger en correctionnelle).

Et voilà le "détail" qui montre à quel point les journalistes ont raison (parfois) de vouloir raconter ce qui se passe et de ne pas s'en tenir à la communication officielle: fin juin 2010, une des agressions de notre vieillard, qui passe au tribunal, est racontée par la presse régionale. Et une ancienne copine de l'agressée reconnaît le profil de l'homme qui, lorsqu'elle était petite, se livrait à des attouchements impudiques sur elle. La seconde jeune fille n'avait pas osé, elle non plus, se plaindre. "J'ai vu qu'il avait continué ses agressions, alors, j'ai décidé de déposer plainte" raconte-t-elle. Et son témoignage à elle est venu conforter les accusations de la plaignante de 2007.

Hier, les deux jeunes femmes âgées de 30 ans étaient assises l'une à côté de l'autre sur le banc des parties civiles. La première plaignante, actuellement, est toujours très fragile psychologiquement et même physiquement (une maladie de peau provenant du traumatisme dans l'adolescence). Toujours est-il que les deux témoignages se confortent. Le procureur a demandé 4 ans de prison ferme contre l'homme incarcéré depuis juillet 2011 pour une autre agression. L'affaire est en délibéré. Alors, publicité des débats inutile?

Didier Specq

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