23/09/2011
l'amoureux des écoles en prison
Un cambrioleur qui ne visite que les écoles car il ne sait pas lire. En prison.
La justice appelle ça des vols par effraction. Souvent ça ressemble d'ailleurs plutôt à des dégradations. 15 visites de nuit dans 4 écoles différentes d'Armentières. Le 21 septembre, Tony Baudouin, 26 ans, est arrêté en flagrant délit. Hier, il passait en comparution immédiate à Lille pour une série de délits simultanés. Le jeune homme, très limité intellectuellement, affiche grosso modo l'âge mental d'un enfant de 6 ou 7 ans.
Dans le box, il arbore un petit sourire. Pourtant, c'est à pleurer. La misère urbaine, bien grosse, bien concentrée: battu, agressé et violé par sa parentèle dans son enfance, ses parents incarcérés et son père qui se suicide en prison, hébergé par des foyers multiples et variés, on n'a jamais réussi à lui apprendre à lire et à écrire.
Tony Baudouin, sous curatelle, reçoit 60 euros par semaine et, la nuit, il entre dans les écoles. Souvent, il reste sur une chaise, devant une petite table à regarder un livre et à tenter de déchiffrer les lettres. Il mange les desserts et les bonbons des enfants quand il tombe sur un frigo garni. Il emporte aussi des crayons ou des DVD de dessins animés. "Je ne sais pas pourquoi, je ne peux pas m'empêcher" dit-il à l'audience. Et d'ajouter: "si j'avais été dans une structure pour moi, ça ne serait pas arrivé, je ne serais pas là". Le président soupire: "le problème, c'est que vous ne vous plaisez pas là où on vous trouve une place". Au mois d'août, effectivement, à Villeneuve d'Ascq, il n'aimait pas son foyer. Et il avait visité les écoles du secteur. Toujours le même scénario: uniquement les crèches et les écoles maternelles et primaires...
En août, il écope de quelques semaines de prison et, sitôt libéré, à Armentières, il recommence. Comme, à cinq ou six reprises, le prévenu a été condamné pour quelques écoles visitées nuitamment coup sur coup, les peines commencent à devenir lourdes. "Il y avait bien un centre pour moi en Belgique mais le conseil général n'avait pas l'argent" dit-il.
Reste la prison. Me Aurélie Panier, son avocate, est scandalisée: "il existe même une juge d'application des peines qui explique que seule la prison pourrait permettre un traitement suivi". La procureure estime qu'il "faut protéger la société" car, cette fois-ci, un ordinateur portable a été volé et revendu 10 euros. Le prévenu a son idée: "la prison, ça sert à rien et, en plus, j'y suis frappé sans arrêt". On s'étonne du côté des magistrats: "vous n'êtes pas seul dans une cellule?" Réponse: "c'est arrivé, mais, là, c'est plus possible, la prison est pleine".
Ajoutons, pour parfaire le tableau, que, comme l'écrit un psychologue, "la problématique qui freine toute perspective d'insertion, c'est l'énurésie" du prévenu. "En prison, il est broyé, c'est un véritable calvaire pour lui" tonne Me Panier. "En fait, je ne suis pas assez fou" soupire le prévenu. En justice, on appelle ça "altération du discernement". Hier soir, on l'a replacé en détention provisoire. Il est reparti entre deux policiers vers son destin toujours avec le même petit sourire.
00:25 | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Pourquoi ne pas scolariser cet homme ? Après tout c'est peut être tout ce qu'il demande.... et puis être scolariser est un droit non ?
Écrit par : antoine RIOS | 23/09/2011
parce qu'il fait partie de ces malheureux qui ne rentrent pas dans les cases toutes faites. Et parce que les gens qui décident de la case dans laquelle on doit vous mettre se fichent pas mal de ce qu'il n'y ait pas de case pour lui. Avec beaucoup de courage, et surtout la chance que quelqu’un veuille l'y aider, il pourrait faire un procès à l'état français devant la CEDH à raison du traitement qu'il subit. La France serait condamnée, encore une fois. Et rien ne changerait. Encore une fois.
Écrit par : Edouard d'erf | 23/09/2011
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