21/10/2011
la fin de la présomption d'innocence
En marge des rebondissements de l'affaire du Carlton
Voici seulement dix années, l'affaire dite de la prostitution au Carlton (qui concerne en réalité également d'autres hôtels) se déroulerait, médiatiquement parlant, de façon totalement différente.
Les fuites seraient par exemple arrivées à Nord-Eclair, la Voix du Nord ou France 3. Avant de mettre en cause telle ou telle personnalité, les équipes rédactionnelles auraient longuement réfléchi. Longuement parce qu'elles avaient le temps avant le bouclage à minuit de l'édition du lendemain et avant le journal télévisé de 19 h 30.
Aujourd'hui, il suffit qu'un site internet livre l'information brut de décoffrage à 14 h 37 pour que tout le monde se demande dès 14 h 38 s'il faut livrer l'information. Une seule certitude avant de recouper totalement l'information: on est sûr que, dans les cinq minutes, d'autres sites vont larguer la même information en ajoutant quelques détails. Déjà, des journalistes devant un micro racontent à leurs auditeurs les informations collectées par d'autres. Déjà, les responsables des rédactions téléphonent à leurs journalistes de terrain et résument l'info parue ailleurs en concluant d'un interrogatif "t'es au courant?"
Chacun lit les sites des autres et ce regroupement presque instantané fait déjà naître une sorte de certitude. Il ne faut pas s'étonner alors que, même avant la mise en examen, dès le stade de la garde à vue, des noms sortent. Le responsable policier jusqu'ici incontesté, le politicien dans sa retraite, le patron du bâtiment, l'avocat mis en cause se voient brusquement exposés en public.
L'affaire médiatique s'emballe alors. Chacun, sur l'écran d'un smart-phone ou celui d'un ordinateur, consulte le camarade Google. Il suffit de taper un ou deux noms et l'actualité la plus récente s'affiche. On ne consulte même pas un site, on consulte son écran.
Quand on lève la tête, on entend parler vaguement de présomption d'innocence et on s'aperçoit qu'elle a disparu. Le temps de réponse avant la diffusion de l'information, sûre ou approximative, tend vers zéro. Or la présomption d'innocence, pour être respectée à peu près, a besoin d'un temps de réflexion. C'est terminé, c'est un fait.
Remarquez bien que, parfois, ces informations instantanées font parfois rire. Par exemple, mercredi matin, une brochette de caméras et de journalistes attendent fébrilement devant le perron du palais de justice de Lille la sortie des avocats qui plaident la remise en liberté de leur clients devant la chambre d'accusation de la cour d'appel. Ces journalistes ignoraient que la cour d'appel se situent à Douai...
Didier Specq
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