Péripéties judiciaires

C'est donc aux éditions de la Table Ronde que va paraître incessamment sous peu le livre de Maitre Mo intitulé "Au guet-apens". Comme chacun sait, Maitre Mo n'a rien à voir avec Me Jean-Yves Moyart qui exerce ses talents d'avocat à Lille.

Nos rapports ont commencé difficilement car, alors que je suis d'habitude d'une extrème rigueur, je n'ai pas réussi, pendant quelque temps, à orthographier correctement son nom. Il est même arrivé, lors de ses premières plaidoiries, que je change malencontreusement son prénom. 25 ans plus tard, l'avocat devenu blogueur talentueux s'est d'ailleurs vengé dans une de ses chroniques en prétendant qu'il avait confondu le journaliste judiciaire avec un clochard.

Sur le bon millier d'avocats que compte le barreau de Lille, certains observateurs prétendent que quelques dizaines sont talentueux. Maître Mo fait partie de ceux-là. Comme souvent, les bons avocats pénalistes sont bourrés de défauts qui font en même temps leur originalité. Pour ne pas me créer trop d'ennemis en même temps, je n'insisterai pas. Et pourtant, comment ne pas évoquer les rugissements de Me Frank Berton, les longueurs de Me Jérôme Pianezza, les relaxes partielles demandées par Me Stéphane Bulteau, les colères noires de Me Chérifa Benmouffock, les perfidies souriantes de Me Marie Delommez, les évidences franco-belges de Me Patrick Delbar, les blagues récurrentes de Me Stéphane Squilacci, les grognements de Me Dupond-Moretti, les indignations anarchisantes de Me Antoine Berthe, les digressions baroques de Me Laurent de Caigny, etc, etc...

Maître Mo, à ses débuts, chérissaient dans ses plaidoiries deux thèmes. D'abord, ses oreilles qu'il a (assurément) jolies mais (nettement) décollées (très utiles pour démontrer la fragilité du témoignage humain qui souvent n'a pas noté ce détail pourtant évident, c'était avant l'ère des caméras de surveillance). Ensuite ses souvenirs récents (à l'époque) du service militaire (eh, oui!) où l'ex-lieutenant devenu avocat puisait d'inépuisables anecdotes furieusement humaines. Vous avez noté des répétitions, des digressions, des parenthèses, des adverbes. Le tout en quantité et frôlant le bon goût sans jamais y tomber? C'était (un peu) le style de Maître Mo.

Lors du développement d'internet et des blogs, Maître Mo fit son apparition sur la toile. Une apparition remarquée puisque le blogueur ne dormit pas apparemment pendant plusieurs mois: non seulement, il écrivait souvent des billets très longs et très heurtés dans un style qui constitue le charme et l'efficacité des ses plaidoiries mais, en plus, il intervenait sans cesse dans les discussions et les commentaires suscités par ses histoires. Car, sans aucun souci de concision, Maître Mo racontait certaines de ses affaires en changeant, par égard pour ses clients, noms, prénoms, précisions temporelles et géographiques. Mais l'essentiel est là: de bonnes grosses tranches de vie parfois saignantes. Dans la foulée, des milliers et des milliers de lecteurs se passionnent. Qu'on se le dise: le blog de Maître Mo est l'un des plus passionnants actuellement sur la toile!

A tel point que, coup sur coup, cinq éditeurs sonnent à la porte du cabinet de Me Mo en écartant les files d'attente de clients. Les éditions de la Table Ronde ont été choisies et le titre reprend celui d'une des histoires-phares du blog: "au guet-apens". Surprise, tout a été repris, réécrit: c'est un livre avec des phrases bien peignées. Car le style spontané du blog ne cadrait pas du tout avec le livre: "un travail de refonte énorme" admet Maître Mo.

Le contraste entre le livre et le blog permet d'entrevoir mieux une évidence parfois cachée: Me Moyart a choisi une conception du métier d'avocat pénaliste où l'empathie s'appuie sur la sincérité. Comme si l'avocat devait, encore et encore, répondre à cette question lancinante: "Maître, les petits délinquants d'accord, mais comment vous arrivez à défendre des monstres?"

Didier Specq