20/11/2011
chambon: les mots pour ne pas le dire
Le Chambon-sur-Lignon ou comment ne surtout pas dire la vérité.
D'abord, il existe la fameuse présomption d'innocence. Nombreux sont ceux qui interprètent ce principe comme une sorte de théorème mathématique qui voudrait qu'avant une condamnation (et pourquoi pas l'épuisement de tous les recours possibles?) on ne peut rien dire sur la personne soupçonnée.
Or, bien entendu, quand quelqu'un est poursuivi ce n'est pas en général pour le fun! Certes, on ne peut le dire coupable tant qu'il n'est pas définitivement condamné. Mais le suspect a bien été poursuivi parce que les enquêteurs et la justice ont estimé qu'il existait des charges suffisantes... On ne peut tout de même pas assimiler cette personne à un citoyen lambda qui n'aurait jamais été mis en cause. Mais, comme on n'ose pas dire que la personne est soupçonnée en raison d'éléments précis, on préfère garder le secret. Comme ça, c'est plus tranquille, pas de risques. Sauf, évidemment, pour ceux qui vivent avec ce suspect.
Si la personne mise en cause est mineure, la règle implicite du secret s'impose encore plus lourdement. Au Chambon-sur-Lignon, on n'a donc pas osé dire aux responsables de l'établissement les faits présumés qui avaient conduit le jeune homme âgé de 17 ans en prison. Les règles du simple bon sens ne sont plus respectées et la direction du "collège cévenol" peut sans doute à bon droit se dire "sidérée" qu'on lui cache le passé de l'interne qu'on lui confie. Mais, soyons clairs: si le "secret" avait été trahi, celui qui aurait dit la vérité aurait sans doute été stigmatisé... Voire poursuivi pour violation du secret professionnel.
On imagine par ailleurs que la direction du collège a d'autant plus été "sidérée" qu'on l'a sans doute prise par les sentiments: un mineur qui a passé plusieurs mois en détention provisoire mérite, du point de vue d'un pédagogue, plus qu'un autre qu'on s'intéresse à lui. Alors que, malheureusement, si un mineur jamais condamné auparavant a passé plusieurs mois en prison provisoire c'est, hélas, que les faits reprochés sont très sérieux. Là encore, on constate qu'on n'a pas eu les mots pour le dire...
Evidemment, comme d'habitude, on a été voir des psychologues et des psychiatres experts. Ils ont jugé ce jeune pas dangereux. Là aussi, on n'emploie pas les mots pour dire la vérité: psychologie et psychiatrie ne sont pas des sciences exactes.
Toujours pour se rassurer et ne pas dire la vérité, on ajoute que le jeune homme est soumis à un contrôle judiciaire strict. D'ailleurs a-t-on vu des contrôles judiciaires que, d'avance, on ne dirait pas stricts? Une blague évidemment: même un contrôle judiciaire strict, très strict, infiniment strict, ne veut pas du tout dire que la personne soupçonnée est suivie 24 h sur 24 h. Le jeune homme, au maximum, pointe de temps à temps à la gendarmerie, il voit un psychologue chaque semaine, il rend compte à un juge éloigné...
En ce qui concerne l'affaire du Chambon, on entend aujourd'hui que le jeune homme était poursuivi pour viol. Mais on parle aussi d'agression sexuelle. Peut-être que, comme très souvent, le crime de viol avait-il été d'un coup de baguette magique transformé en simple agression sexuelle (délit)? En effet, les cours d'assises sont souvent surchargées et il est plus économique de correctionnaliser les viols pour les faire juger par trois juges d'un tribunal de grande instance. En France, la majorité des viols est correctionnalisée.
Au final, de précaution de langage en précaution de langage, on en arrive à ne pas dire à la direction d'un collège qu'elle accueille un éventuel violeur. Et le direction du collège n'a donc pas les moyens de penser qu'un éventuel violeur ne doit pas être accueilli dans un internat d'adolescentes et d'adolescents.
C'est ainsi que Le Chambon-sur-Lignon, avec sa petite gare, son petit train touristique, son torrent et ses bois profonds, est frappé par un drame évitable.
Didier Specq
20:24 | Lien permanent | Commentaires (10)
Commentaires
Merci ! Merci M. Speck, d'avoir le courage de vos opinions. Merci également d'oser dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Pour avoir été, à une époque, un concurrent de Didier Speck, je n'étais pas enclin à lui tresser des laurier (même si, secrètement, j'ai toujours aimé son talent d'écrivian et son esprit d'analyse) mais, là, il faut dire qu'il se démarque nettement de ses petits camarades ! Je n'imagine même pas lire ce genre d'analyse dans les colonnes de la concurence... Merci donc à Nord Eclair dans son ensemble d'oser laisser s'exprimer ceux qui rament à contre-courant de la "bien-pensance" (ben oui, moi aussi j'invente des mots. Après tout, l'exemple vient de haut !).
Écrit par : Dominique Marécat | 21/11/2011
@ Didier Specq :
une fois n'est pas coutume, je suis sidéré par votre billet, bien qu'il vous vaille les félicitations d'un ancien journaliste concurrent (la Voix du Nord pour ne pas la nommer).
Ce que je crois comprendre dans votre commentaire, c'est qu'on aurait caché au collège le passé du désormais assassin présumé. Il me semble avoir entendu le principal de collège sur les ondes expliquait qu'il n'avait pas voulu savoir pourquoi son élève était allé en prison. Lui donner une deuxième chance passait par l'ignorance. Votre analyse me semble donc biaisée.
Je pense, pour ma part, que ce principal a manqué de curiosité et qu'une solution soluble dans le respect de la présomption d'innocence (qui ne vous semble cher que dans le cas des acquittés d'Outreau) aurait consisté à l'informer de la situation judiciaire de son élève. Dire qu'il est mis en examen pour viol (ou agression sexuelle) qu'il vient de passer quatre mois en détention provisoire et qu'il est toujours sous contrôle judiciaire ne serait pas briser le secret de l'instruction.
Vous estimez qu'on "ne dit pas les mots". En tout cas, depuis sa nouvelle mise en examen, j'entends un peu tout et n'importe quoi sur le suspect du meurtre d'Agnès. Présenté par les médias comme "l'assassin", "le récidiviste", bien des journalistes oublient les précautions élémentaires sur la présomption d'innocence (mais le suspect n'est pas DSK, le risque d'un procès est limité). C'est impossible à entendre pour les parties civiles, mais à ce jour, le suspect reste présumé innocent pour la première affaire et pour le meurtre. Impossible, pour l'heure, de le qualifier de récidiviste.
Les politiques aussi oublient ces précautions langagières (ah, les droits de l'homme, il n'y a guère que les pays arabes pour s'en soucier ces derniers temps) et fidèles à leurs habitudes, ils mettent en branle le fameux théorème "un fait divers médiatique = une loi, et tant pis si elle est inapplicable ou anticonstitutionnelle, ça rassurera les électeurs). Cette récupération est simplement écoeurante et d'un cynisme sans nom. C'est indigne de la douleur de la famille d'Agnès.
Car le pire, c'est qu'on cherche à nous faire croire que les drames sont "évitables". Le responsable n'est plus le meurtrier, mais le JLD, le JAP. C'est tellement plus simple que d'accepter le fait que tout le monde ne soit pas beau et gentil en ce bas monde. Que des démagogues osent, a posteriori, affirmer une telle contre-vérité, je m'y suis habitué. Mais qu'un chroniqueur judiciaire aussi expérimenté que vous rejoigne la meute...
On ne sait quasiment rien de la première affaire. Quelles étaient les charges ? Y avait-il des indices matériels ? Combien de fois dans nos chroniques vous avez vous-même insisté sur les doutes qu'il peut exister dans les affaires sexuelles. Parole contre parole, la compassion excessive des magistrates femmes envers les victimes... A vous lire, on pouvait croire que les prisons étaient peuplés de nombre d'innocents ou tout au moins de condamnés sans preuve. Et maintenant, vous voudriez que les experts et les juges devinent qu'un jeune suspecté de viol pas encore condamné se mue en tueur ?
On n'empêchera jamais le passage à l'acte - y compris avec la menace de la peine de mort, comme on le constate aux USA. Il faut accepter le risque de vivre parmi des loups présumés. Et prier pour que nos enfants évitent de tomber dans leurs griffes.
Écrit par : Darth Vader | 22/11/2011
Cher Darth Vader,
C'est bien compliqué ce que vous racontez. Pour ma part, je veux dire simplement que, lorsqu'un jeune homme même mineur est soupçonné d'agression sexuelle, il me semble normal que la direction du collège qui l'accueille en internat mixte soit avertie.
Ces considérations n'empêchent pas par ailleurs de se garder de toute certitude sur les tenants et les aboutissants de la première affaire. D'autant plus qu'elle n'est pas encore jugée.
D.S.
Écrit par : didier specq | 22/11/2011
Cher D.S.,
pour faire simple, je trouve dommage que vous vous hortefeusisier en concluant votre billet en parlant de "drame évitable". C'est cette notion de "drame évitable" qui justifie, depuis plus de 5 ans, chaque nouvelle loi inspirée par un fait divers (de préférence deux jours après le fait divers, ceux qui nous gouvernent n'ont pas besoin de prendre le temps de la réflexion, c'est magique).
Peut-être pourrions-nous tomber d'accord qu'il faut attendre d'en savoir plus sur cette affaire avant de conclure que le drame était évitable ou non ?
Enfin, je suis entièrement d'accord avec vous sur la nécessité d'informer l'établissement scolaire (je l'ai écrit dans mon commentaire). Mais il me semble bien avoir entendu le principal du collège revendiquer à la radio d'avoir refusé de savoir quoi que ce soit. S'il faut à tout prix un responsable autre que le meurtrier lui-même, c'est plutôt lui que l'institution judiciaire.
Cordialement
Écrit par : Darth Vader | 24/11/2011
Moi, j'ai vu à la télé les responsables du collège dirent qu'ils n'avaient pas été avertis de la nature du crime reproché à l'élève meurtrier. La nature du crime reproché aurait permis, je pense, de refuser un tel élève dans un internat mixte.
D.S.
Écrit par : didier specq | 24/11/2011
Félicitation, tout d'abord, à Darth Vader de m'avoir démasqué ! Il est vrai que je n'avais pas pris de véritable précaution... Je déteste toujours autant l'anonymat.
Sur le fond, j'aurais quelques observations à formuler : sur l'attitude du principal du collège, je rejoins (une fois de plus !) l'opinion de Didier Specq. Moi aussi, j'ai entendu le principal affirmer qu'il n'avait pas été averti de la nature du crime reproché à l'élève meurtrier (présumé, pour ne pas choquer Darth Vader). J'ai également entendu que l'élève en question s'était illustré par une attitude pour le moins ambigüe envers les jeunes filles du collège durant l'année scolaire précédente et qu'il avait même été envisagé de le renvoyer. Ne peut-on supposer qu'à la lumière de ces nouveaux incidents, le principal du collège aurait pris une décision plus radicale s'il avait été au courant des antécédents de l'élève en question ? Je n'irai pas jusqu'à affirmer que le drame aurait ainsi pu être évité mais quand même...
Par ailleurs, et sur les responsabilités, je suis d'accord avec Darth Vader : ce n'est pas exclusivement sur le JAP ou le JLD qu'il faut taper, même si je pense, quant à moi, qu'ils ont effectivement une part de responsabilité. Certes, le meurtrier (présumé) est bien responsable. Sa responsabilité est immense ! Mais que dire de tous ces psychiatres, psychologues et autres éducateurs qui ont conclu, avec leur insupportable suffisance et leur incapacité à se remettre en cause, que le meurtrier (présumé) était réinsérable et ne présentait pas de dangerosité particulière. Et croyez-vous qu'ils adoptent profil bas aujourd'hui ? Que nenni ! Il continuent à venir parader face aux caméras, expliquant au peuple ébahi que l'erreur est humaine, qu'aucune science n'est exacte et autres fadaises destinées à tenter de masquer leur lourde responsabilité. Je sais bien que je lance là un autre débat mais il me semble qu'il mérite d'être lancé. Et je suis curieux de savoir ce qu'en pensent Darth Vader et Didier Specq.
Écrit par : Dominique Marécat | 26/11/2011
Cher Dominique Marécat,
Il me semble que, dans le monde de la justice mais dans d'autres milieux aussi, on demande aux psychiatres et aux psychologues des réponses qu'ils ne peuvent donner.
Peut-être pour se rassurer et transférer ailleurs des responsabilités, certains milieux (on voit ça aussi chez les enseignants) pensent pouvoir s'adresser au "psy" expert comme s'il s'agissait d'un scientifique.
Or, ces psychologues guérissent parfois des gens où les aident à vivre. Mais ce ne sont pas des experts au sens où un expert en armes (par exemple) va donner une expertise scientifique qui s'approche effectivement (dans un cas précis strictement défini) de la vérité.
Je suis (hélas) déjà un vieux journaliste. J'ai connu des experts psychiatres qui estimaient encore, voici une trentaine d'années, que l'homosexualité était une sorte de maladie. Ils tenaient des propos, par exemple aux assises, qui les feraient condamner aujourd'hui pour appel à la discrimination en raison des orientations sexuelles.
Bien sûr, ces experts d'il y a trente ans se présentaient comme des scientifiques et ont enseigné leur science aux experts d'aujourd'hui qui disent le contraire de façon tout aussi scientifique.
D.S.
Écrit par : didier specq | 27/11/2011
@ D.M. :
je ne crois pas avoir claironné fièrement vous avoir démasqué.
Vous semblez ironiser sur la présomption d'innocence. Encore ces satanés droits de l'homme (les mêmes qui garantissent votre liberté d'expression). Ce ne sont que des précautions de langage, mais depuis le scandale d'Outreau, elles me semblent beaucoup moins futiles - votre ancien collègue de la Voix du Nord de Boulogne en sait quelque chose.
Peu importe, ce qui m'a le plus fâché dans ce billet, c'est de parler, forcément après coup, de drame évitable. Notre méconnaissance (à vous, à Didier Specq, à moi-même) du dossier devrait nous inciter à plus de prudence. Patience et longueur de temps...
Pour le reste, je n'ai rien à ajouter à la réponse de Didier Specq : on en demande trop aux experts. Je ne parlerais pas, les concernant, de "lourde responsabilité" (et là encore, nous n'avons une connaissance que très parcellaire du dossier). Et je me méfie d'une société qui prétendrait offrir à ses citoyens le risque zéro. Vivre tue, il faut l'accepter.
Écrit par : Darth Vader | 28/11/2011
Bien sûr, cher Darth Vader que j'ironise ! Et j'ose espérer que vous avez l'esprit suffisamment ouvert pour le comprendre et l'accepter. L'actualité est suffisamment morose pour que nous ne nous enfoncions pas, nous aussi, dans cette sinistrose ambiante, même si le sujet ne prête effectivement pas à sourire !
Sur le fond, je suis effectivement d'accord, on en demande trop aux experts. Il n'empêche que leur suffisance et leurs certitudes (à géométrie variable par ailleurs) m'insupporte !
Et effectivement, "vivre tue". Voyez, que je peux être d'accord avec vous aussi !
Écrit par : Dominique Marécat | 29/11/2011
En me relisant (mais après coup !) je constate que j'ai accumulé les répétitions deux suffisamment et trois effectivement sur onze lignes, cela fait beaucoup !). J'en demande pardon à ceux qui auront eu la bonté de me lire et je promets d'être plus vigilant la prochaine fois !
Écrit par : Dominique Marécat | 29/11/2011
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