23/11/2011

Carlton: un tiroir après l'autre...

quai des orfevres.jpegMardi, devant un juge interloqué, Me Basile Ader brandissait des procès-verbaux de police. Tiens donc?


Ce qui est casse-pieds avec l'affaire de proxénétisme aggravé dite du Carlton, c'est qu'il faut vraiment prendre des notes. Car les tiroirs s'ouvrent les uns après les autres et, à chaque fois, une curiosité apparaît. Mardi, dans l'après-midi, devant le président Pierre Maitreau, siégeant en tant que juge des référés (procédure d'urgence), un intéressant affrontement surgissait.

Il opposait Me Gérald Laporte, avocat d'une des prostituées qui est partie civile dans l'affaire du Carlton et Me Basile Ader, avocat de la société "le Parisien Libéré" qui gère le quotidien bien connu et son site.

C'est un débat à la fois simple et complexe. Simple: dans la procédure de référé, deux avocats s'affrontent, il n'y a pas de procureur, on ne juge que l'évidence (la loi aurait été violée) et l'urgence (on peut réparer illico le dysfonctionnement). Complexe: voire ce que j'explique ensuite.

Résumons. Me Gérald Laporte estime que la vie privée de sa cliente ne doit pas être violée par des publications qui s'appuient sur des procès-verbaux de police. La protection de la vie privée, c'est le principe de base du code civil. Ce n'est pas nouveau: ça remonte à Napoléon et le code civil était jugé si admirable qu'un écrivain comme Stendhal l'érigeait en modèle de beauté d'écriture.

Me Laporte s'agace car le Parisien estime normal de donner le prénom, la première lettre du nom, des détails de vie privée comme les circonstances familiales du démarrage de la prostitution de M. à 18 ans, le nombre d'enfants de M., son mariage, son divorce, ses activités d'escort girl, etc, etc. "Atteinte à l'intimité de la vie privée" tonne Me Laporte. "Droit à l'information" rétorque Me Ader qui refuse de retirer les détails intimes de la vie de M. sur le site du Parisien. (Notons au passage que le Figaro, menacé d'une procédure en référé par Me Laporte, a retiré la semaine dernière des informations similaires de son site. Après discussions avec Me Laporte, Paris-Match et Elle ont fait de même ce week-end).

La protestation de Me Laporte (qui demande que les éléments intimes sur M. soient retirés du site du Parisien) devant le juge des référés sera-t-elle suivie d'une décision favorable du président Maitreau vendredi matin? On verra.

En dehors de l'atteinte à l'intimité de la vie privée, il n'empêche qu'il est tout de même gênant, d'ores et déjà, qu'une probable victime du réseau de proxénétisme ne soit pas libre de témoigner puisque, durant l'instruction, ses déclarations deviennent publiques. On imagine aisément les pressions possibles dans cette affaire de proxénétisme en bande organisée.

C'est à ce moment-là que Me Basile Ader (qui tient absolument à assurer que ce que dit le site du Parisien est vrai) produit, devant le président Maitreau très étonné, des procès-verbaux issus du dossier. Et même des procès-verbaux issus des interrogatoires qui n'étaient pas encore dans le dossier d'instruction car, comme le remarque Me Laporte, ces documents ne sont pas encore numérotés par le greffier du magistrat instructeur.

Evidemment, c'est compliqué pour le journaliste: il a droit à la protection de ses sources mais, n'en déplaise à Me Ader, il ne peut être légalement recéleur d'une violation du secret de l'instruction. Surtout quand Me Ader prouve ce délit en brandissant les procès-verbaux!

D'ailleurs, une enquête est ouverte sur la violation du secret de l'instruction dans cette affaire. On en reparlera sûrement, surtout si Me Ader produit lui-même des preuves.

Une dernière remarque pour la route: les fuites ne concernent presque jamais, pour l'instant, les policiers mis en cause. Curieux, non?

Didier Specq

Commentaires

@ D.S. :
On n'est pas en désaccord sur tout ! Chouette !
A la lecture de votre article dans Nord éclair, je trouvais également surprenant que Me Ader prenne le risque de brandir les PV d'audition, apportant la preuve que "l'investigation" pour nombre de vos confrères parisiens consiste à attendre devant le fax... Au moins, quand Nord éclair a publié le témoignage d'une de ces escorts, celle-ci a rencontré le journaliste et lui a parlé librement en sachant que ses propos seraient publiés.

Écrit par : Darth Vader | 24/11/2011

Ce que vous dites à la fin de votre article est inexact. Deux arrêts successifs de la Cour de Cassation rendus à la suite de condamnations de la France par la CEDH disent
1/ qu'un journaliste peut produire des pièces d'un dossier d'instruction pour se défendre devant un tribunal (pas ds le journal)
2/ que s'il le fait il ne peut-être poursuivi pour recel
....et cela a quelques années!
Curieux, non? Ben non......

Écrit par : isa | 24/11/2011

@Isa

Je ne pense pas. En référé, dans ce cas précis, Me Laporte, qui demande simplement que l'on retire des phrases litigieuses, estime qu'on est dans le cadre du code civil et de l'atteinte à l'intimité de la vie privée et pas dans le cadre d'un délit de presse.

Et, effectivement, je ne pense pas -même si leurs récits sont exacts- que les journalistes peuvent raconter la vie privée des gens. La vie privée d'une témoin ou d'une victime (sa religion, le nombre de ses enfants, sa domiciliation, sa jeunesse, etc) me semble effectivement devoir être protégée. Me Laporte ne dit pas que c'est faux, que c'est une injure ou que c'est une diffamation, il dit que c'est du domaine de la vie privée. On verra ce qu'en dira le président Maitreau.

DS

Écrit par : didier specq | 25/11/2011

Posé, clair, pas tonitruant, des faits mis en perspective + l'explication de la valeur juridique de ce qui est dit.

Écrit par : A Delepierre | 25/11/2011

C'est le Nord .... et cherchez bien ..... y a des petites "personnes", bons pères de familles qui font moins de publicités pour les voyages ! Faut chercher dans le BMW ! Mais, chut, faut pas le dire !

Écrit par : licornebleue22 | 27/11/2011

Les commentaires sont fermés.