16/05/2012
Etranges étrangers
Les galères de l'étranger en comparution immédiate.
Comme on le sait, la "comparution immédiate" est devenue la procédure-reine des tribunaux. Elle permet de donner une réponse judiciaire rapide à la délinquance de rue. La sanction, dans la plupart des cas, peut suivre l'interpellation à quelques jours d'intervalle. Mais la rapidité n'est jamais loin de la précipitation.
Prenons l'exemple de ce passeur de stupéfiants estonien jugé lundi dernier en comparution immédaite au tribunal de Lille.
"L'Europe, l'Europe!" clament les hommes politiques en, pour reprendre les termes employés par le Général de Gaulle, sautant sur leur siège comme des cabris. Concrètement, le jeune homme est arrêté vendredi et il passe le week-end dans les geôles des douanes puis du palais de justice. Croit-on vraiment que l'enquête de personnalité (c'est une opération obligatoire pour la justice en cas de comparution immédaite) a été vraiment effectuée pour un Estonien?
Déjà, pour un citoyen français, on a des doutes. Il suffit de voir comment, la plupart du temps, les associations de tutelle ou de curatelle sont rarement contactées dans le délai imparti (Il est 17 h! L'association ne répond plus!) alors que le prévenu en comparution immédiate affiche une santé mentale fragile et, par définition, ne devrait pas comparaître sans la personne qui le suit habituellement.
Alors, un Estonien! On frémit... Pourtant, dans le cas qui nous occupe, une enquête sur l'activité professionnelle réelle du prévenu aurait pu fournir des renseignements intéressants sur le degré de validité de ses excuses (il explique avoir trafiqué "à l'insu de son plein gré", en quelque sorte). D'ailleurs, une question toute bête: une enquêtrice de personnalité du tribunal a-t-elle le droit de téléphoner autant qu'elle le veut en Estonie? Pas si sûr puisque, voici quelques années, on entendait parler de téléphones bloqués pour n'appeler que le Nord et le Pas-de-Calais...
On pourrait objecter que les enquêteurs des douanes ou de la police ont fait leur enquête. Pas si sûr non plus puisque l'objectif est d'envoyer le plus vite possible le sommet de l'iceberg (le passeur) en comparution immédiate tandis que l'enquête sur le reste de l'iceberg (le réseau) est remis à plus tard. Et même à bien plus tard...
L'Estonien peut demander également le report de son procès. Dans les faits, c'est difficile pour lui. D'abord, comme étranger, même primo-délinquant, il va se retrouver en détention provisoire pour l'empêcher de prendre la poudre d'escampette. De sa prison, sans argent, sans traducteur, il ne pourra pas entamer grand-chose dans le genre collectage de documents à décharge. Enfin, comme beaucoup, il tient à savoir tout de suite à quelle sauce il va être mangé. D'autant que les autorités consulaires de la lointaine et petite Estonie ne doivent pas être d'une grande efficacité pour visiter "leurs" prisonniers.
Ainsi, ce jeune homme estonien jamais condamné, malgré la défense de Me David Liétaert qui demandait d'ailleurs la relaxe, va mijoter de longs mois en prison. Probablement isolé et sans argent. L'Europe, l'Europe...
Didier Specq
07:53 Publié dans étrangers, Justice | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Heureusement qu'il y a des journalistes comme vous dans les palais de justice pour dénoncer ces in-justices.
Mais qu'est ce que la justice en France?
Que l'on soit puissant ou misérable, etc...etc...
Espérons que les choses vont changer avec l'arrivée de la Gauche!
Marie-France Vanovermeir Duquesnoy
Écrit par : VANOVERMEIR Marie-France | 16/05/2012
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