23/06/2012
Sainte Psychologie, priez pour nous!
Quand le "psy" décide à la place du juge.
Il suffit de se balader quelques jours dans n'importe quel tribunal pour sentir à quel point les magistrats s'appuient sur les expertises des psychologues et des psychiatres. Comme si une partie de la décision était transférée aux psycholos en tous genres. Comme si, d'une certaine façon, l'acte de délinquance était presque forcément l'expression d'un trouble du cerveau et surtout pas une décision.
C'est devenu une sorte d'automatisme. Ainsi, à Lille, l'expert psychiatre qui intervient durant les gardes à vue au commissariat est presque toujours le même. Il est réputé d'ailleurs pour la rapidité et le laconisme de ses expertises. Curiosité scientifique: il a succédé à son père qui, lui-même, procédait à des expertises ultra-rapide en garde à vue à Lille.
La loi vient d'ailleurs conforter les magistrats. Ainsi, lors des agressions sexuelles, l'expertise par un psy du suspect est obligatoire. Gros problème: on a toutes les peines du monde à trouver un expert psychiatre qui arrive à tenir les délais rapprochés des comparutions immédiates. Le recours au psy est tellement automatisé qu'on ne s'étonne plus, par exemple, qu'un prévenu remis en liberté subisse un contrôle judiciaire avec obligation de prendre des soins auprès d'un psy alors que le suspect, théoriquement, est toujours présumé innocent et présumé sain d'esprit.
Vendredi matin, à la télé, le responsable du collège cévenol, à Chambon-sur-Lignon dans la Haute-Loire, se scandalisait que le juge d'instruction et les gendarmes puissent opérer actuellement, pendant l'année scolaire, une reconstitution de l'assassinat d'une de ses collégiennes, âgée de 13 ans, violée, poignardée, brûlée. "Les élèves vont être traumatisés" estimait le pédagogue qui est sans doute par ailleurs psychologue amateur.
C'est l'occasion de revenir sur le passé du présumé assassin, un jeune homme de 17 ans. Celui, à Montpellier avait été arrêté après avoir "agressé sexuellement" une jeune fille qu'il avait ligotée. Il s'agissait d'ailleurs d'un viol puisqu'il y avait eu pénétration mais on sait, hélas, à quel point la justice admet le trucage de la loi en déguisant en agression sexuelle (délit passible de la correctionnelle) un viol (crime passible des assises et donc beaucoup plus cher à juger).
Toujours est-il que l'expert psychiatre avait rendu, avant tout jugement, son verdict: "l'auteur n'a pas de troubles à dimension perverse", "cette personne n'est pas dangereuse", etc.
A partir de là, le jeune homme avait été rapidement remis en liberté sous contrôle judiciaire et interdit de séjour dans les environs de Montpellier où s'était déroulé la première "agression".
Le père avait fini par trouver un pensionnat prêt à accueillir son fils agresseur: le collège cévenol à Chambon-sur-Lignon. Pas dangereux? Donc le juge d'instruction n'avait pas averti le collège des faits reprochés au nouvel élève. Même chose pour le procureur. Même chose pour les gendarmes chez qui le jeune homme venait pointer tous les quinze jours. Même chose pour le père qui n'avait parlé que d'une affaire grave sans plus de précisions. La "non dangerosité" du jeune homme avait occulté la simple question suivante: est-ce qu'un jeune homme capable de commettre le premier viol n'est pas capable éventuellement d'en commettre un second surtout quand on l'héberge 24 h sur 24 dans un pensionnat mixte loin de toute surveillance sérieuse, y compris celle de ses parents? Le psychologue a pris le pas sur le simple professionnel qui, à coup sûr, aurait été plus prudent et, en tous cas, aurait averti.
Sous nos yeux, un pays comme la Norvège montre jusqu'où peut aller cette "psychologisation" de la vie quotidienne: Anders Behring Breivik, qui a tué à peu près 90 personnes dans la capitale et sur une île lors d'un congrès de jeunes socialistes norvégiens, est jugé après que, dès le début de l'audience, les magistrats sont venus lui serrer la main. Il faut être proche de lui, ne pas trop le déstabiliser psychologiquement parlant...
Didier Specq
21:36 Publié dans Justice, psychanalyse | Lien permanent | Commentaires (0)
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