12/07/2012
Un constructeur sort ses chiffres
Surtout pas de cogestion!
L'annonce des 8000 suppressions d'emplois dans le groupe Peugeot-Citroën et la fermeture en 2014 du site d'Aulnay font la "une" de la presse. La décroissance est en marche à grands pas puisque, si l'on compte les emplois induits, c'est probablement plus de 20.000 emplois qui vont disparaître: moins d'achats d'autos, moins de consommation, moins de dépenses sociales, etc.
Bien sûr, tout cela aura aussi un coût: face à ses problèmes sociaux (pauvreté, logement, éducation, etc), la France sera encore plus incapable de réagir. Tous ceux qui méprisent dans les faits l'industrie seront frappés indirectement aussi.
Toutefois, au delà des lamentations, force est de constater que, juridiquement parlant, le modèle social français à du plomb dans l'aile. En effet, la stratégie sociale du groupe PSA est caricaturale: voici un an, quand la CGT annonçait avoir découvert des documents annonçant la fermeture d'Aulnay, on riait au nez des responsables syndicaux. Un an plus tard, la fermeture est là. Et on l'annonce après l'élection présidentielle et juste au début des vacances. Visiblement, côté "timing", le service de communication de PSA a beaucoup travaillé pour avoir cette brillante idée.
Ce sont les Allemands qui doivent être sidérés: en effet, chez eux, de telles décisions doivent être discutées largement en amont avec les syndicats et de cuisantes amendes tombent quand les étapes de la négociation syndicale ne sont pas respectées. Volkswagen aurait engagé des négociations. Et d'ailleurs, pour être exact, avec le poids de la cogestion en Allemagne, ces négociations ne cessent jamais complètement. Ici, en France, il suffit, pour certains responsables patronaux, de gérer le "timing" et d'informer à temps le comité d'entreprise en lui mettant sous le nez des chiffres catastrophiques.
Bien sûr, en Allemagne, culturellement, on ne méprise pas l'industrie. On sait que les "visions d'avenir" ne consistent pas uniquement à présenter des concept-cars aux salons et à baratiner sur la voiture électrique. Mais, juridiquement, on a aussi l'habitude de discuter toutes les orientations stratégiques d'un groupe. Chaque délocalisation est pesée, les intérêts des salariés présents dans la boutique sont pris en compte, les stratégies à moyen et à long terme sont discutées, les critiques remontent de la base. Les syndicats et les patrons savent lâcher du lest. Tout n'est pas rose; ceux qui sont hors du groupe souffrent beaucoup par exemple. C'est une façon de travailler plutôt lente et précautionneuse, assez corporatiste, avec un carcan légal contraignant. Mais on en voit les résultats.
En conclusion, on peut peut-être évoquer une histoire récente et régionale. Le 22 mars 2011, le groupe Rossel et le groupe Voix du Nord annonçaient la nécessité de fusionner très vite un certain nombre d'activités entre la Voix et Nord-Eclair. Assemblée générale très méfiante du personnel, discussions passionnées qui démarrent. Et puis, non sans quelques fâcheries, la négociation s'est engagée. Longue, avec des rebondissements, des réunions multiples, des prises de contact de couloirs, des textes discutés à la virgule près... Long, pas spectaculaire, avec des concessions réciproques et un "patron" qui accepte de discuter du coeur de son orientation stratégique. Au final, plus d'un an après, un accord, des mutations difficiles certes mais aussi aucun licenciement et une série d'embauches. La cogestion quoi... Pendant ce temps, d'autres journaux ferment.
Didier Specq
10:06 Publié dans Politique, social | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
La force de l'industrie allemande, c'est la qualité de l'education et de la formation du personnel qui remonte à Bismarck
en 1963, visitant un lycée professionnel de la société Heidelberg ( presses offset et rotatives), au titre des echanges franco allemands de jeunes, le groupe de collegiens de 2e auquel nous appartenions avait decouvert avec surprise que ces élèves apprenaient le grec ancien et aussi la musique. Ce qui aurait beaucoup surpris les responsables de la formation professionnelle en France.
Écrit par : Odeladeule | 20/07/2012
@Odeladeule. Vous, vous avez raison. Les Allemands n'ont jamais renoncé à la culture industrielle. En Allemagne, on est fier de travailler dans l'industrie. Alors qu'en France même un ingénieur de haut-niveau est moins bien considéré qu'un étudiant en commerce ou un "intellectuel".
Cela se voit dans les jouets par exemple: les grandes firmes du train électrique, des jeux de construction, des maquettes d'autos ou de tracteurs par exemple sont souvent allemandes. Mine de rien, une culture passe: ce qui est important, pour un enfant allemand, c'est la construction mécanique, industrielle, concrète.
Et, n'en déplaise à ceux qui conçoivent la vie devant un écran ou qui pensent qu'il suffit de faire du vélo dans les centres villes pour résoudre les problèmes de la planète, les problèmes de demain sont des problèmes de constructions durables, d'adduction d'eau, de machines-outils, de déplacements peu coûteux et donc bien conçus, de machinisme agricole, d'hôpitaux, etc. Et ce savoir-faire, vous avez raison de l'indiquer, implique également une culture générale solide. Au fond, on en reste toujours là: la main et le cerveau...
D.S.
Écrit par : didier specq | 21/07/2012
Encore une anecdote
15 ans plus tard, nous avons créé un atelier photo à Grenoble. L'equipe m'a envoyé à Dusseldorf pour acheter du materiel de develloppement à la Photokina.
sur le stand Agfa - 6000 m2 - , j'ai exposé notre projet. Un des ingenieurs m'a alors emmené voir les nouvelles machines gigantesques et totalement automatiques de traitement photo qui, me disait il, allaient reduire le nombre de labos. Il fallait donc s'orienter sur un marché de niche et pas vers l'amateur. C'était la mort des petits labos.
Puis il m'a conseillé d'aller la firme Mullersohn, http://www.muellersohn.de. qui avait créé le matériel qu'il nous fallait. Non seulement cette PME avait ce qu'il nous fallait mais le boss m'a invité à faire un stage chez lui pendant 10 jours à Bielefeld sans obligation d'achat.
Comme nous n'avions que 50% de la somme necessaire à nos achats, M Mullersohn à la fin du stage, m'a emmené à sa banque et en une demi heure, son banquier, après 2 coups de fil à notre banque à Grenoble acceptait de financer l'achat des machines avec du credit fournisseur sur un an.
Quelle firme française aurait procédé ainsi avec un client qu'elle ne connaissait pas, jeune et passablement ignorant du metier ?
L'anecdote ne finit pas là.
Passer 10 jours dans une firme allemande vous en apprend beaucoup. La totalité du travail de montage et de tests des machines etait, en 1977, déjà totalement sous traitée à une dizaine de petits ateliers proches de l'Usine. Mullersohn ne faisait dejà plus que la conception et de la recherche. ça faisait rêver.
Les machines Mullersohn etaient ingénieuses et robustes. En questionnant le patron sur ce point, il me dit alors qu'il les avait imaginées - avec le contremaître qui m'avait formé - dans les combats de Stalingrad. S'ils en rechappaient, ils s'etaient promis de monter une entreprise. C'est peut être inventé mais il avait sa photo en uniforme de la Werhrmacht sur le mur. Mais le fait est que blessé à la jambe ( il claudiquait), sa blessure lui avait permis d'être envoyé à l'arrière et de ne pas tomber aux mains des Russes.
Écrit par : Odeladeule | 22/07/2012
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