Péripéties judiciaires

D'abord la jeune femme. Timide, elle se tient au fond de la salle de l'audience. Tout l'après-midi, elle a attendue avec son "proxénète" et, comme ce dernier avait été remis en liberté sous contrôle judiciaire, l'affaire a été examinée en fin d'après-midi, après les détenus (prioritaires pour qu'ils puissent rentrer plus vite dans les prisons). Quand le président voudra entendre son témoignage, on ne saura même pas exactement si elle comprend bien le français. La voix étouffée par l'émotion, et peut-être, la peur, elle ne bredouillera que quelques mots. On saura tout de même que la "victime", pour la loi une prostituée est forcément une victime, ne désire pas se porter partie civile et réclamer quelque chose au prévenu.

Le dossier (jugé jeudi) sait d'elle qu'elle habitait dans un campement "rom" lillois situé porte de Valenciennes. Elle se prostituait. C'est ainsi qu'elle a rencontré un homme âgé de 55 ans. On connait aussi la situation économique de la jeune femme résumée par Me Jean-François Csizmadia: "Elle n'a rien, elle envoie de temps en temps des virements de quelques dizaines d'euros à sa famille en Roumanie".

Les fins connaisseurs de la comparution immédiate s'étonneront peut-être que l'avocat du proxénète ait pu rencontrer ensemble son client et la jeune femme. En réalité, c'est normal ici: lors de la première comparution devant les magistrats, quand on s'est posé la question de la remise en liberté sous contrôle judiciaire du prévenu, les magistrats, plutôt humains en l'occurrence, n'ont pas interdit la rencontre de nos deux personnages, ils se sont bornés à interdire au prévenu la fréquentation de l'avenue du Peuple Belge: c'est l'artère à Lille qui dessert le Palais de Justice et "accueille" l'essentiel de la prostitution lilloise.

Le prévenu rassemble aussi une série de caractéristiques taillées pour un feuilleton télé: il a été licencié après 36 ans de bons et loyaux services d'une usine locale de bonbons en faillite, il a retrouvé du boulot comme responsable de nettoyage public d'un petit secteur lillois, il est veuf depuis très longtemps après avoir été orphelin, il reçoit un petit salaire... Et, le soir, seul, il traîne...

Bref, ce client (qu'il va falloir bientôt réprimer selon certains projets) a rencontré d'abord comme client puis comme ami la jeune femme. Elle a quitté sa caravane pourrie, ils vivent en couple. Il est bien possible que, à un moment ou à un autre, la jeune femme ait payé des cigarettes à son ami. Mais, à vrai dire, la justice n'a pas cherché longtemps si le prévenu avait profité des "fruits de la prostitution" (pour reprendre l'expression du code pénal). Comme la définition du proxénétisme par le code pénal est très large (toute aide à la prostitution d'autrui, etc), le seul fait que le prévenu ait déposé en voiture son amie avenue du Peuple Belge est suffisant. "Je ne savais pas que j'étais un proxénète en faisant ça" s'exclame-t-il.

L'arrestation s'est déroulée en avril et, depuis, la jeune femme fait des ménages... Trois mois avec sursis viennent sanctionner le prévenu jamais condamné.

Pendant ce temps, avenue du Peuple Belge, des dizaines d'Africaines se prostituent. Sans doute que, sans l'aide de proxénètes internationaux, ces jeunes femmes ont découvert toutes seules, du fin fond de l'Afrique, qu'elles devaient rejoindre cette avenue lilloise. Mais, l'ancien ouvrier de l'usine de bonbons "la Pie qui Chante" a été, lui, arrêté. On respire, la lutte contre le proxénétisme est intense...

Didier Specq