20/09/2012
Taubira: la peine-plancher, c'est vache...
Le recours à la peine plancher devrait être limité. Mais il l'est déjà...
Difficile d'émettre une opinion tranchée sur les orientations de Christiane Taubira. La ministre de la justice vient de les présenter au conseil des ministres. Une chose est sûre: Christiane Taubira, soucieuse de dialogues et de concertations avec le monde la justice, semble avoir définitivement rompu avec l'empilage de nouvelles lois qui marquait le style cher au quinquennat de Nicolas Sarkozy.
La peine plancher, chacun en connaît le principe. Copiée sur les peines automatiques prévues dans le droit américain, la peine plancher est arrivée en France dès l'été 2007, quelques semaines après l'élection de Nicolas Sarkozy. Levée de boucliers à gauche et dans les syndicats de magistrats et d'avocats. Dénonciation en face de la "gauche laxiste". La pièce, comme d'habitude, se met en place comme dans une histoire d'enfants: d'un côté, à gauche, Guignol qui n'aime pas la maréchaussée; de l'autre côté, à droite, le gendarme incarnation de l'ordre.
Bien sûr, la réalité n'a presque rien à voir avec tout ça. D'abord, signalons qu'on peut être de gauche -ça se rencontre beaucoup chez les magistrats- et se signaler en même temps par un sens de la répression très net. Ne serait-ce que parce que les victimes, à 99%, sont des personnes modestes. En tant que chroniqueur judiciaire, j'ai toujours été fasciné par des juges du Syndicat de la Magistrature, par exemple, qui se présentent dans les conférences de presse comme de féroces critiques de la politique répressive et qui, quand ils siègent dans des audiences correctionnelles, ne présentent pas du tout le même profil.
La réalité des peines planchers n'a pas non plus grand-chose à voir avec la présentation caricaturale (et confortable pour les paresseux de l'intellect) qui a été opérée durant l'été 2007.
Sur tous les plateaux télé, on a présenté la peine plancher comme une peine automatique. Or, c'est en grande partie faux. D'abord, quand par exemple une peine plancher de trois ans de prison est requise pour un récidiviste dont le délit est sanctionné par sept ans maximum, les juges, s'ils appliquent la peine plancher, peuvent assortir les trois ans d'incarcération d'un sursis (en tout ou en partie). Les magistrats ne s'en privent pas. Résultats des courses: trois ans de prison assortis par exemple de 18 mois de sursis avec mise à l'épreuve, ça fait 18 mois de prison ferme. Et 18 mois, on en conviendra, c'est assez différent de 36 mois quand on doit effectivement les effectuer (je sais, avec les réductions de peine, parfois automatiques et décidées uniquement par le procureur, ça fait moins. Mais, SVP, ne compliquons pas les choses).
Ceci dit, indéniablement, l'arrivée de Sarkozy en 2007, par le biais des peines planchers et du durcissement général des lois, a provoqué une inflation de la population carcérale. Mais cette augmentation du nombre des détenus n'est pas causée uniquement par le durcissement affiché de la répression: la hausse de la délinquance de rue violente par exemple (réprimée assez fermement), la prise en compte très forte des violences conjugales qui se retrouvent souvent en comparution immédiate, le maintien des trafics de stupéfiants qui entraîne de lourdes années de prison provoquent aussi une augmentation du nombre des prisonniers...
L'observateur quotidien des tribunaux notera rapidement, après 2007, une érosion des peines planchers. Au départ, le procureur la requiert systématiquement. On parle même à Lille de rapports hebdomadaires envoyés au procureur général pour contrôler l'application réelle de ces peines. Mais, très vite, la prétendue automaticité de la peine plancher saute. D'abord par le recours aux sursis comme expliqué plus haut, ensuite parce que les juges vont user d'une disposition de la loi: on peut, "à titre exceptionnel", ne pas l'appliquer si le prévenu présente des conditions parfaites de réinsertion possible. Mais le magistrat doit préciser par écrit, dans son jugement, le "pourquoi" de sa non-application de la peine plancher.
Très vite, la loi ne va plus être appliquée: quand il déroge à la peine plancher, le président de correctionnelle se bornera très vite à dire purement oralement: "en raison de la modicité du préjudice", "étant donné les circonstances de l'infraction", voire "dérogeons à la peine plancher"... Certains magistrats, nous en sommes témoins, n'ont même jamais appliqué la peine plancher...
On ne sait pas encore si Christiane Taubira "abolira" la peine plancher. Mais la vérité, c'est que l'abolition, si elle intervient, n'abolira qu'une peine qui n'est plus vraiment appliquée. Il faut savoir par ailleurs que, bien sûr, même sans la peine plancher, les magistrats appliquent plus sévèrement la loi quand ils jugent un récidiviste. Et donc, même quand la peine plancher est appliquée, elle ne change pas grand-chose à la décision qui, de toutes façons, aurait été prise.
Pour conclure, ajoutons que, même sous Rachida Dati, plus ou moins en catimini, des lois ont été rajoutées pour permettre une libération plus rapide et plus automatique des détenus... La nouvelle rédaction du code pénal précise bien d'ailleurs que la prison ne doit être employée qu'à la toute dernière extrémité...
Voilà, désolé de troubler les amateurs du Guignol habituel qui se joue entre la droite présumée répressive et la gauche présumée laxiste...
Didier Specq
08:43 Publié dans Justice, Politique, Prisons | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
C'est d'une telle subtilité que c'est difficile de bien suivre le raisonnement . Quelques titres et sous titres et pourquoi pas un chapo pour indiquer le cheminement aideraient le lecteur peu habitué aux embûches des sentiers tortueux et rocailleux de la Justice.
La Justice - et le droit dont elle provient - devraient pouvoir être compris par le citoyen lambda. Nonobstant le style et la redaction des jugements qui meriteraient une chronique quotidienne.
Finalement, le Droit, c'est nous, c'est vous, c'est tout le monde qui doit bien le comprendre parce qu'il regit nos relations et pas seulement au tribunal d'instance ou en correctionnelle, à Dieu ne plaise aux Assises.
Écrit par : Odeladeule | 20/09/2012
Cher Odeladeule,
Je tente de parler de la réalité des tribunaux. Et, souvent, elle n'a rien à voir avec les simplifications politiques, idéologiques ou journalistiques. Ainsi, contrairement aux apparences, j'indique que, très vite, le gouvernement Sarkozy n'a pas été si répressif qu'il l'affichait. Non seulement des réformes Dati sont venues en catimini adoucir largement la durée des détentions mais, en plus, les peines planchers n'ont jamais été automatiques (elles étaient souvent assorties de gros sursis) et, en plus, elles n'étaient souvent pas appliquées. Les magistrats ne se fatiguent même plus à donner oralement (alors qu'ils devraient le faire par écrit) la raison pour laquelle ils dérogent à l'application de la peine plancher. Ils se bornent depuis longtemps à dire: "étant donné les circonstances de l'infraction", ce qui, vous en conviendrez, ne signifie rien.
Je conclus donc en expliquant que, quand Christiane Taubira explique qu'il faut avoir moins recours à la peine plancher, elle ne fait qu'annoncer... ce qui existe déjà.
Bref, quand la droite dit actuellement que Taubira est laxiste et que la gauche répond que la droite est trop répressive, c'est du baratin autant d'un côté que de l'autre. C'est ce que j'essayais de dire en nuançant et en expliquant.
D.S.
Écrit par : didier specq | 22/09/2012
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