07/10/2012

Les liaisons dangereuses

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Vendredi dernier, deux complices d'un évadé étaient jugés à Lille. Dur.

Finalement, Erwann Gouget, 24 ans, n'avait pas profité longtemps de sa liberté: mardi en fin d'après-midi, il s'évade de la gendarmerie de Lille boulevard Louis XIV à Lille (une caserne désormais célèbre pour avoir hébergé la garde à vue de Dominique Strauss-Kahn) mais il est repris le lendemain mercredi soir, à Roubaix à un jet de pierre du siège de Nord-Eclair), chez la grand-mère d'un ex-copain de détention.

Fin de l'évasion et une année de prison ferme de plus qui s'ajoute, vendredi soir en comparution immédiate, au compteur du jeune homme. Condamné à 8 ans de prison pour viol aux assises de Douai, il n'en avait fait qu'un peu moins de 4 années car il présentait d'exceptionnelles garanties de réinsertion. Vendredi soir, on apprenait d'ailleurs que, durant sa détention à Sequedin, il avait passé un bac littéraire et un BEP de pâtisserie. En libération conditionnelle au printemps dernier, le jeune homme a été rapidement soupçonné d'avoir commis 7 viols ou tentatives de viols. Ce qu'il nie. Il a été arrêté à nouveau fin juillet 2012.

Ces viols défrayaient la chronique depuis quelques semaines à Lille. A chaque fois, le futur violeur suivait sa victime dans la rue, repérait son domicile, s'assurait qu'elle était seule, défonçait sa porte à coups de pied de biche avant de l'agresser.

Entendu en garde à vue à la gendarmerie dans le cadre d'une affaire distincte de cambriolage, Erwann Gouget avait, en fin d'audition alors que tout se passait bien, demandé aux gendarmes de ne pas aller dans les toilettes (à la turque) réservées aux prisonniers... Mais, dans les toilettes "plus chics", une fenêtre était ouverte: "J'ai vu la liberté, je n'ai pas réfléchi, j'ai fui" a-t-il déclaré à l'audience. 12 mois ferme sont donc venus sanctionner la cavale du violeur présumé.

"Jusque la loi du 9 mars 2004, s'il n'y avait pas violences, effraction ou corruption lors de l'évasion, le fait de prendre la poudre d'escampette n'était pas réprimé en France. On trouvait que c'était un désir naturel" a plaidé Me Julien Benssoussan, son avocat. Les temps ont bien changé même si nos amis belges continuent à raisonner de la même façon.

Le cas de Sophie L., sa petite amie jamais condamnée et âgée de 22 ans, était intéressant. A l'appel de son ami évadé, elle est venue tout de suite le chercher, alors qu'il se planquait dans des buissons à Villeneuve d'Ascq, dans sa Citroën C3 rouge. Lorsque la frêle jeune femme comparaît aux côtés d'Erwann Gouget, on sent tout de suite que la chambre correctionnelle présidée par Matthieu Duclos ne va pas être très sévère vis-à-vis d'elle. Aujourd'hui encore, dans la loi, une concubine n'est pas obligée de dénoncer son ami même quand il s'agit d'un présumé criminel évadé. Mais, pour que joue cette dérogation à la loi générale, il faut que la jeune femme ait au moins résidé 7 jours avec l'ami en question. Sinon, elle n'est pas considérée comme concubine. 7 jours dans un domicile principal, pas 7 jours dans un camping pendant les vacances... Or, la prévenue n'a jamais vécu avec l'évadé.

Reste alors le statut de "repentie". C'est elle qui a été repérée grâce à des écoutes téléphoniques quand les gendarmes vérifient le comportement de toutes les connaissances répertoriées de l'évadé. En garde à vue, elle est rapidement passée à table et elle a conduit les gendarmes aux environs de la fameuse maison roubaisienne de la grand-mère où l'évadé s'était réfugié. "Son intervention a permis de faire cesser un délit, elle peut bénéficier du statut de repentie tel qu'il est défini dans l'article 132-118 du code pénal" assure Me Julien Benssoussan. Les juges ne l'ont pas suivi car ils estiment que sa repentance n'avait rien de volontaire en garde à vue: 3 mois avec sursis pour la jeune femme.

Le cas d'Aguibou Kourouma, 23 ans, malgré la plaidoirie de Me Quentin Lebas, est encore plus intéressant: le jeune homme trinque plus que l'évadé! 8 mois de prison ferme "obtenus" vendredi qui s'ajoutent aux 24 mois d'un sursis antérieur de prison qui sautent. Total: 32 mois de prison supplémentaires.

Le jeune Villeneuvois a connu Gouget en prison où ils purgeaient tous deux une peine pour viol: "lls étaient rejetés tous les deux y compris par les autres détenus, une solidarité est née, c'est instinctif" résume Me Lebas. Le complice de l'évasion assure qu'il ignorait les raisons véritables de la fuite de son ami Gouget qu'il aurait rencontré par hasard non loin d'une station de métro à Villeneuve d'Ascq, dans la banlieue de Lille. Il a conduit la C3 de Sophie L.: "Il m'a dit simplement qu'il était recherché; après, dans la voiture, Sophie et Erwann étaient à l'arrière et discutaient entre eux, je ne sais pas ce qu'ils se disaient, la musique marchait fort dans la voiture". Visiblement, les magistrats n'en croient pas un mot. C'est le Villeneuvois qui a fait héberger l'évadé à Roubaix. "Quand la police est arrivé, l'évadé ponçait une porte pour aider aux travaux dans l'habitation; cela montre bien que mon client trouvait que le contexte n'était pas très grave" plaide Me Lebas.

Les 32 mois de prison démontrent que les juges n'ont guère acquiescé à la brillante plaidoirie de Me Lebas: "Vous êtiez en sursis avec mise à l'épreuve dans une affaire criminelle, vous saviez qu'il vous fallait respecter scrupuleusement la loi" conclut le président Duclos à l'adresse du "recéleur de malfaiteur".

Didier Specq

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