16/10/2012

La solitude d'une mère de famille

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Au détour d'un procès pour des violences sur enfants.

L'histoire est à la fois simple et horrible. Djamel A., un commerçant roubaisien, est seul chez lui, le 24 août dernier, avec ses trois enfants. Sa fille aînée âgée de 16 ans et ses deux fils âgés respectivement de 13 et 10 ans. Visiblement, Djamel A., un boulanger âgé de 44 ans, est un tyranneau domestique qui frappe sa femme et ses enfants. Le voisinage, des proches, des amis le connaissent pour sa violence et ça va d'ailleurs les inciter à tenter d'intervenir (un peu).

Donc, ce 24 août 2012, pour se reposer, la mère de famille est partie passer une semaine de vacances chez des amis à Nice. Ce samedi soir, la fille aînée prépare le repas pour tout le monde. Et, en même temps, elle tapote des SMS sur son téléphone portable en racontant ce qu'elle fait. Brusquement, Djamel A. se saisit du téléphone et lit sur l'écran ce texto émanant d'un correspondant inconnu: "Hum, c'est bon!".

Fou furieux, Djamel A. s'empare du téléphone et appelle le numéro indiqué. Un correspondant de 19 ans, une voix masculine répond. "A son ton, j'ai cru que c'était un policier" dira le jeune homme. Toujours est-il que Djamel A. "pète un câble", pour reprendre son expression cent fois répétée, et tombe à bras raccourcis sur la jeune fille. Hier à l'audience, devant la présidente Alexa Fricot, il déclare sans sourciller: "Un garçon de 19 ans alors qu'elle n'en a que 16! J'ai cru qu'elle n'était plus vierge".

L'homme tombe à bras raccourcis sur sa fille. Le médecin légiste comptera 16 coups de ceinture avec la marque rectangulaire de l'attache. Plus des ecchymoses sur tout le corps car l'homme, outre les gifles, a piétiné au sol l'adolescente à plusieurs reprises. Lorsque, pendant l'audience, on observe la corpulence de l'agresseur, on frémit. Au final, 5 jours d'ITT diagnostiquait par la médecine légale.

Mais ça ne s'arrête pas là: l'adolescente, en tee-shirt et pieds nus, va être enfermée jusqu'au lendemain dimanche soir à 23 h 30 dans un cabanon au fond du jardin dont le tyranneau détient seul la clé. La fenêtre a été obstruée avec un sac. Sans drap, sans matelas, sans couverture, sans nourriture et sans eau!

Les enfants, des voisins, ses frères lui parlent sans se faire remarquer durant la nuit et la journée qui suit. Mais personne n'avertit la police. Des voisins tentent d'intercéder. En vain. C'est la mère (qui a été avertie téléphoniquement à Nice) qui va finir par alerter la police. La séquestration de la jeune fille cesse donc à 23 h 30 alors que Djamel A., quand les policiers sonnent à la porte, tente de cacher ce qui se passe! Il ordonne à sa fille de masquer ses bras couverts de coups avec un gilet et de dire qu'elle ne se trouve dans la cabane au fond du jardin que depuis 15 minutes.

Première constatation: une adolescente peut être frappée et rester séquestrée pendant plus de 24 h sans que la police soit avertie alors que nombreuses sont les personnes au courant.

La mère, indéniablement, a essayé d'intercéder. Elle a même envoyé, téléphoniquement, des instructions à des voisins pouvant servir de médiateurs auprès de son mari particulièrement irascible. La présidente, à l'audience, commence donc par lui dire cela quand la mère témoigne.

Mais, ensuite, c'est la volée de bois vert: la présidente Alexa Fricot, contrairement à ce qui avait été dit fin août, s'aperçoit en effet que la mère de famille ne veut plus divorcer. Alors même qu'il avait été découvert que les garçons avaient été frappés aussi et qu'au moins celui de 13 ans avait été séquestré dans la cabane qui sert visiblement de prison familiale. L'adolescent avait d'ailleurs dit aux enquêteurs qu'en ce qui le concerne, personne n'était venu à son secours. Deuxième constatation: on est tout de même un peu étonné de l'isolement de ces trois enfants malgré les faits.

Résultat des courses: après cette volte-face, les enfants sont "représentés" par une mère qui ne demande plus rien et qui est réconciliée avec le père! Les magistrats, un peu désarmés, nomment un tuteur pour représenter les enfants plus tard et demander des dommages et intérêts. Mais, que faire? Que pouvait la mère sous la coupe de son mari? "Rien n'a changé alors, votre fille est toujours dans sa chambre à l'étage avec vue sur le cabanon qui ferme à clé!" déclare, sarcastique, la présidente.

Aucun des enfants n'était présent à l'audience. L'homme est condamné à 12 mois de prison dont 4 de sursis avec mise à l'épreuve sans mandat de dépôt. Son avocat a plaidé l'homme qui, né en Algérie, fait tout pour s'intégrer, pour qui la virginité de sa fille est sacrée et qui est effrayé par la permissivité de la société... Mais les cinq -papa, maman et les enfants- vont voir le psychologue ensemble et l'attestation est donnée par l'avocat de la défense. Eh, oui, ça se passe encore comme ça dans la France de 2012.

Didier Specq

13:16 Publié dans Justice, police | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Si vous permettez, et si j'ai bien compris le sens de votre billet, j'élargirais votre titre à “La solitude de tous ceux qui subissent ou ont à connaître de tels faits.” J'émets l'hypothèse que ce « tyranneau » « irascible » faisait régner un tel délire de terreur que toutes les personnes concernées vivaient ces événements sous cloche, paralysées, et par peur de représailles éventuelles ne disaient rien. Ou comment la terreur physique envahit l'autre, lui inocule son poison et le fige. Je crois comprendre l'extrême difficulté et l'angoisse consistant à décrocher son téléphone et composer le 1 puis le 7. Et même le retournement final, hélas.

Écrit par : Moz | 16/10/2012

Cher Moz,

Effectivement, c'était le sens de mon billet. Et, devant ce genre de phénomène, même les professionnels ont l'air de se sentir un peu démunis.

D.S.

Écrit par : didier specq | 18/10/2012

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