19/10/2012

Créteil: un document bouleversant

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Le verdict de la cour d'assises des mineurs de Créteil a pu choquer. Un document bouleversant éclaire cette décision.

On a déjà exprimé sur ce blog, en termes vifs, ce que nous inspirait ces gens qui, ignorant tout d'un procès jugé à huis-clos, SAVENT que tous les accusés sont coupables, manifestent devant le ministère de la justice et sont sûrs que les magistrats de Créteil ont couvert des violeurs (voir la note: "osez la bêtise"). Ces jugements à l'emporte pièce, comme dans l'affaire d'Outreau avant que le dossier s'effondre, nous font d'autant plus froid dans le dos qu'ils émanent de gens que par ailleurs nous estimons souvent: féministes, élus, journalistes...

Aujourd'hui, pour en reparler, nous nous appuyons sur un document qui nous a fait pleurer: c'est rare de lire une si longue lettre aussi équilibrée, aussi bouleversante, aussi humaine. Cette lettre a été écrite par Laure Heinich-Luijer qui est l'avocate d'une des victimes de ces viols collectifs jugés à Créteil. C'est d'ailleurs un des points les plus étonnants de ce long document: l'avocate est vraiment la porte-parole de cette victime qui, on le comprend bien, n'a pas la force d'écrire elle-même... On espère qu'elle le pourra un jour, on est même sûr qu'elle le pourra un jour car, avec une avocate de cette qualité, elle dispose d'un point d'appui non négligeable (le document complet est disponible dans Libération du 18 octobre et sur le blog Rue 89).

"Plaignante"! C'est le terme un peu désuet que les juristes utilisent pour désigner celle qui dépose une plainte. Il prend ici tout son sens. Me Laure Heinich-Luijer explique: "7 ans après sa plainte, 13 ans après les faits, Nina a 29 ans sur sa carte d'identité. Mais elle est morte à 16 ans. Puis s'est recouverte de 120 kilos pour s'enterrer. Elle est morte violée dans une tour, puis dans un escalier, dans des appartements, des box, des caves et même sur des jeux d'enfants".

Les plaintes des deux victimes ont été déposées plus de 6 ans après les faits. On comprend immédiatement que toutes les preuves matérielles ont disparu. On sent que les témoignages extérieurs ne peuvent qu'être flous. On devine à quel point les dénégations des éventuels coupables vont avoir de la force. Qui étaient là? Lui, son frère, son ami, son copain... Comment reconstituer des événements quand, en plus, les mineurs sont devenus des majeurs qui peuvent n'avoir plus rien à voir avec les auteurs des faits vieux de 13 ou 14 ans au moment du procès et vieux de 6 ou 7 ans quand l'enquête démarre?

On imagine la violence des dénégations ou des injures quand elles sont reçues en pleine figure par les victimes: "Doit-on attendre des victimes qu'elles exposent de façon linéaire, qu'elles soient construites comme quelqu'un qui n'a pas souffert? N'est pas le moindre mal d'être fragile quand on a été violée? Nina sortait de l'audience a tout bout de champ et cela rendait le débat particulièrement brouillé et tourmenté. C'est une fille trop abîmée pour bien se présenter. Avec la violence des débats, ce que je n'aurais pas compris, c'est qu'elle ne sorte pas".

On imagine donc la confusion de ce procès qui a duré plusieurs semaines pour tenter d'y voir clair aussi longtemps après. On imagine aussi la souffrance des victimes qui, pendant 13 ou 14 ans, ont dû subir les moqueries ou les menaces des agresseurs présumés. Une pensée aussi pour la difficulté des magistrats en général et de cette cour d'assises en particulier: il faut condamner si l'on est sûr que la personne en face est coupable... Pas question de dire a priori que les 14 accusés sont coupables, pas question -encore moins!- de juger en général le comportement ce ce qu'il est convenu d'appeler des jeunes de banlieue vis à vis des jeunes filles...

A méditer aussi ces quelques phrases écrites sans doute en pesant chaque mot par l'avocate de Nina: "Du côté de Nina, alors que la mémoire est nécessairement traumatique et ampute les souvenirs des plaignantes, nous disons que le doute doit profiter à l'accusé. D'ici, personne ne remet en cause le principe de la présomption d'innocence, rempart démocratique indispensable de notre société. Nina dit d'ailleurs comprendre certains acquittements par manque de preuves. Mais cela, les médias ne le relaient pas. Les médias préfèrent dire que dire qu'un procès doit être réparateur pour les victimes, alors qu'il ne fait aucun doute qu'elles doivent se reconstruire ailleurs. Ils desservent les victimes en répandant cette idée-là. Mais peu leur importe puisque l'opinion ne fonctionne qu'à grands renforts d'émotions".

L'avocate conclut: "Le parquet a fait appel sous la pression médiatique, les victimes ne s'étant pas déclarées favorables préalablement. Il n'y a pas lieu de se réjouir d'un appel dans de telles conditions. Le dysfonctionnement de cette affaire, il fallait s'en préoccuper avant".

Des accusés ont été condamnés, certains ont été acquittés, un appel a été interjeté, on rparlera donc un jour de cette affaire. En attendant, pour cette leçon de courage, d'humanité et d'intelligence, on ne peut que remercier Me Laure Heinich-Luijer. Et -on le dit tout doucement- remercier Nina...

Didier Specq

Commentaires

Un très bel article qui explique bien les faits sans manichéisme aucun.
Merci de cet éclairage et merci aussi à Me Laure Heinich-Luijer. et merci Nina.

Écrit par : VANOVERMEIR Marie-France | 19/10/2012

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