19/01/2013

Sortir des stéréotypes

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Il arrive parfois que le travail de l'avocat consiste uniquement à briser un a priori.

La scène se déroule la semaine dernière un peu tardivement dans une chambre correctionnelle du tribunal de Lille. Devant le président Bernard Lemaire, un homme, Thierry D., 36 ans, père de famille et grand amateur de motos. D'ailleurs, devant le président, il n'a rien trouvé de mieux que de se présenter dans une combinaison de mécanicien dont les couleurs et le lettrage chantent la gloire d'une grande marque japonaise.

L'homme est accusé d'extorsion de fonds. Un truc assez désagréable puisque la victime est une "pauvre mamy" âgée de 86 ans.

L'histoire est la suivante. On a volé une moto dans le garage que le prévenu loue à la "mamy". La vieille dame possède une batterie de 50 garages dans une petite ville de la banlieue nord de Lille. Quand le prévenu découvre la disparition de sa moto et la porte de son garage ouverte, il fonce chez la dame. "La porte du garage avait été ouverte sans qu'on m'avertisse ou qu'on demande mon autorisation. Un peintre était venu et a repeint toutes les portes dont la mienne. Mais la mienne a été mal refermée. Les voleurs n'ont même pas eu à la forcer". D'où la colère du prévenu: "Ce n'était rien, c'est une moto de cross que j'avais achetée à un des coureurs de l'enduro du Touquet".

Bref, comme on l'a dit plus haut, l'homme se rend illico chez la dame en râlant. Il sonne, il explique son cas. La dame, embêtée, lui faut un chèque de 2.500 euros et lui verse en espèces une sorte de bonus de 500 euros. Ce qui représente, grosso modo, le prix de l'engin disparu. Une assurance aurait-elle remboursé quelque chose dans ce cas précis avec la porte qui serait restée ouverte? Mystère.

L'affaire est réglée? Pas du tout. Quelque temps plus tard, le motard s'aperçoit que la dame a fait opposition sur son chèque de 2.500 euros. Dans la foulée, la "gentille mamy" a déposé une plainte pour extorsion de fonds. Les policiers, dans le dossier qu'ils ont expédié au procureur puis aux juges, expliquent que jamais la porte n'a été ouverte: ils ont été sur place et les portes ont été repeintes de l'extérieur. Mieux, les policiers assurent que le prévenu est défavorablement connu: un ex-compagne, jadis, aurait fait des mains courantes car il aurait été violent avec elle.

Bref, la condamnation semble inévitable. Certes, jamais le prévenu n'a été condamné. Mais des détails chiffonnent les juges. Ce chèque que la dame n'a pas rédigée elle-même. "Elle m'a demandé de l'écrire car elle n'y arrive plus bien elle-même" explique le prévenu. "Elle ne l'a pas rédigé elle-même tellement elle tremblait de peur" objecte la procureure. Autre détail gênant: ces 500 euros réglés en liquide. Et puis, surtout, il existe deux archétypes sociaux: la gentille et fragile mamie de 86 ans; le motard baraqué et brut de décoffrage.

C'est alors que Me Vincent Potié, l'avocat du prévenu, se fâche. Son client défavorablement connu? Me Potié: "Elle est bien bonne, il n'a jamais été condamné, il fait partie d'un tas d'associations à visée sociale, il est donneur de sang, parfaitement intégré! De quel droit les policiers disent-ils ça? Pour une vieille histoire dont on ne sait rien avec une ancienne compagne et qui n'a entraîné aucune poursuite?"

Les portes n'ont pas été ouvertes comme le raconte le prévenu? Me Potié: "Les policiers, sans avoir les clés et sans consulter mon client, vont sur place et expliquent que la peinture récente est extérieure. Pas du tout! J'ai fait passer un huissier qui explique que les chambranles ont été peints à l'intérieur et que les portes ont été fatalement ouvertes car ces endroits ne peuvent être atteints de l'extérieur!"

Reste le gros morceau: casser la victime décrite comme une adorable mamy. Me Potié: "Qu'en sait-on? Elle conduit sa voiture, elle gère d'une main de fer des dizaines de garages, elle les fait probablement repeindre au noir. Et si ce n'était pas une gentille mamy mais une vieille femme dont la parole n'a pas à être prise plus au sérieux que celle de cet homme plus jeune sur le banc des prévenus. On dit du mal de mon client sans rien prouver? Très bien. Moi, j'ai là des attestations qui expliquent que cette dame est très désagréable".

L'avocat tente alors la dernière manoeuvre délicate: rapprocher le client des juges. Me Potié: "C'est un brave homme qui aime la moto. Mais je n'aime pas particulièrement la moto. Mais si, dans mon garage, on avait volé ma voiture parce que la porte a été laissée entrouverte par un artisan, j'irais râler comme tout le monde tout de suite chez la propriétaire. Je ne suis pas certain d'ailleurs que mon intervention serait jugée agréable par la vieille dame". La procureure avait demandé la condamnation mais le motard a été innocenté.

Didier Specq

23:31 Publié dans Justice | Lien permanent | Commentaires (0)

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