Péripéties judiciaires

Fini le chiffre unique de la délinquance qui a tant servi sous l'ère Sarkozy: on mélangeait allégrement les torchons et les serviettes ou, si l'on préfère, les chiffres des petits délits, des agressions et des crimes. Inévitablement, noyée dans la masse des petits délits, une tendance surgissait: la baisse de la délinquance. Alors que les agressions contre les personnes, par exemple, augmentaient sans cesse.

Manuel Valls a donc condamné ce fameux chiffre unique. Mais, même en insistant sur la transparence et la prise en compte de nouveaux chapitres (comme la cybercriminalité et la délinquance routière), on n'arrivera difficilement à une parfaite objectivité.

Prenons par exemple un chiffre presque incontestable: chaque année, à quelques unités près, il est possible d'arriver à un dénombrement précis des crimes suivis de la mort d'un homme. On sait que les homicides volontaires décroissent régulièrement. Actuellement, on arrive à 665 homicides volontaires en 2012. Alors que, avec une population moindre, on a frôlé les 1000 homicides il y a 15 ans.

Or, si l'on consulte la catégorie "tentatives d'homicides volontaires", on constate une progression constante! Mystère! Les assassins seraient-ils de plus en plus maladroits en ratant leur cible? Auraient-ils de plus en plus de difficultés en transformer les tentatives d'homicide en homicides en bonne et dûe forme? Difficile à croire.

En réalité, contrairement à ce que l'on peut penser, la catégorie "tentative d'homicide" est très floue.
Si, du haut d'un immeuble, un grossier personnage balance un frigo de son balcon, c'est un acte d'incivilité inadmissible qui ne sera sans doute pas poursuivi. Si le même homme exécute la même figure de style alors que des policiers patrouillent non loin de là dans la rue au bas de l'immeuble, il s'agira sans doute d'une tentative d'homicide: le vol peu gracieux du réfrigérateur aura pris un sens qu'il n'avait peut-être pas..

Même chose dans les violences conjugales. Une femme qui plante un couteau dans la gorge de son compagnon passe en comparution immédiate et, comme on l'a vu récemment au tribunal de Lille, est remise en liberté. Alors même que l'ex-concubin, grièvement blessé, s'évanouit sur le banc des parties civiles car il vient tout juste de sortir de l'hôpital.

Si les rôles de prévenu et de victime avaient été échangés, il est possible que la même affaire se serait transformée en tentative d'homicide. Une plus grande sévérité des procureurs pour qualifier ce genre d'agissements entraîne donc inévitablement le gonflement de la statistique correspondante. Mais les morts violentes, que l'on ne peut pas globalement transformer en autre chose, continuent, elles, à baisser statistiquement.

Manuel Valls veut introduire de nouvelles catégories peu prises en compte -type petites incivilités- alors que les chapitres plutôt grossiers des statistiques actuelles ne sont pas encore très détaillés. On lui souhaite bien du plaisir.

Didier Specq