26/01/2013

Lille, zone d'incarcération prioritaire

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C'est l'histoire d'un gamin qui n'est pas né dans le bon quartier.

L'action se situe, vendredi après-midi, devant les magistrates de la neuvième chambre correctionnelle. Il s'agit de la chambre traitant, ce jour-là, les comparutions immédiates. Devant la procureure et les charmantes juges surgit un tout petit bonhomme qui sort de garde à vue. Gérard D. est âgé tout juste de 18 ans. "Il pèse 45 kg" assure Catherine Pouzol, son avocate. Gérard D., c'est le gars bien sous tous rapports: jamais condamné, inconnu des services de police, bien propre et bien poli, timide, coiffé comme un premier communiant, s'exprimant comme un enfant.

Par exemple, pour expliquer comment un gros dealer du secteur l'a cogné, il dit: "Il m'a mis des cacahuètes". La présidente Agnès Marquant lui demande d'expliquer: il serre son poing et mime des coups sur la tête.

Donc, voici quelques jours, Gérard D. et son copain âgé de 13 ans "vont faire un foot". En chemin, ils rencontrent un dealer du coin qui les intimident et les forcent à dealer un après-midi dans un hall d'immeuble. Est-ce invraisemblable?

Cette histoire était jugée ce vendredi et, la veille dans le même tribunal, était examinée une affaire où cinq ou six dealers enlevaient, séquestraient et frappaient tout un après-midi un gars qui les aurait trahis. Le jeune homme, enlevé dans sa famille par des individus cagoulés, avait passé tout un après-midi lié et nu dans une cave. Dans les mêmes quartiers du sud de Lille, on connaît l'histoire d'un jeune brûlé au chalumeau par des dealers, d'autres sur lesquels on tire, des "nourrices" (toxicomanes dont les dealers occupent l'appartement pour stocker leurs marchandises ou y revendre leurs doses à l'abri) intimidées, des halls contrôlés par les guetteurs, des coursives mises en coupe réglée, etc. Bref, Gérard D. et son copain racontent une histoire après tout banale de caïd qui intimide et recrute de force des revendeurs.

Or, justement, quelques heures plus tard, la police intervient et interpelle Gérard D. et l'enfant âgé de 13 ans.

Que se passe-t-il? On vérifie les dires des deux gamins, on recherche l'éventuel caïd, on détecte les témoins ou les lieux où se sont déroulées les intimidations?

Non, on envoie les deux interpellés au tribunal: Gérard D. dans la cour des grands (comparution immédiate), son copain devant le juge des enfants. Sur eux ou à leurs pieds, on a saisi 470 euros, deux balances et de l'héroïne.

La procureure relève des contradictions mineures entre les dires du prévenu et les propos du gosse de 13 ans qui s'est exprimé sans aucun doute avec aisance dans l'ambiance conviviale d'une garde à vue et a dû relire ses déclarations au microscope avant de les signer. La procureure relève aussi un détail important: depuis quelques jours, Gérard D. n'était plus en formation car il n'aurait pas trouvé de stage en entreprise. "Peut-être envisageait-il des occupations plus lucratives?" s'interroge-t-elle. "Ah, ça, mais bien sûr!" comme on disait dans les vieux feuilletons télévisés. Et l'accusation de réclamer de la prison ferme "avec mandat de dépôt".

Me Catherine Pouzol s'indigne, se proclame "abasourdie", explique que son jeune client a subi une contrainte morale et même physique, rappelle qu'il n'a jamais eu le moindre ennui, souligne qu'il vit chez ses parents qui travaillent, estime qu'on n'a mené aucune enquête véritable, etc. Bref, s'appuyant sur la contrainte, l'avocate demande la relaxe ou, "à titre infiniment subsidiaire", un travail d'intérêt général.

Pendant les délibérations, Gérard D. s'inquiète un peu: va-t-il vraiment se retrouver en prison? L'avocate de permanence le rassure: non, elle le promet, il n'ira jamais en prison, impossible que les magistrats délivrent un mandat de dépôt.

Retour des juges: six mois de prison dont trois de sursis avec mise à l'épreuve avec mandat de dépôt! La présidente Marquant ajoute un commentaire: "vous avez entraîné un mineur à revendre avec vous".

Gérard D. a le malheur de demeurer dans un quartier de Lille-Sud qui fait partie des zones de sécurisation listées par Manuel Valls. Gérard D. vient de découvrir que c'est aussi une zone d'incarcération prioritaire pour ceux qui sont condamnés à vivre dans un milieu, pour reprendre l'expression de la procureure, "gangrené par le trafic de stupéfiants". Comme dit le code pénal, la prison doit être la dernière des solutions.

Didier Specq

Commentaires

Est-ce que son cas aurait mieux traité s'il avait habité Marcq en Baroeul ?
Je vous renvoie à votre article de l'an dernier (http://peripetiesjudiciaires.nordblogs.com/archive/2012/10/11/cannabis-loin-de-roubaix.html).

Écrit par : Bonsensenaction | 30/01/2013

Cher Bonsensenaction,

Je crois que le traitement de ce cas précis est très lié à la Zone Prioritaire de Sécurité (celle de Lille en l'occurence).

Écrit par : didier specq | 30/01/2013

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