02/03/2013
La gauche n'aime pas les jurés populaires
Ainsi donc la ministre Christiane Taubira va procéder à l'enterrement des jurés populaires en correctionnelle.
Bien sûr, cette réforme proposée par Nicolas Sarkozy affichait un acte de naissance contestable: la droite laissait entendre que la présence de jurés populaires dans les chambres correctionnelles permettrait de contrebalancer des juges supposés laxistes.
Une expérimentation allait donc se dérouler. Les Cours d'Appels de Toulouse et Dijon étaient choisies pour recevoir, à l'essai, ces jurés citoyens. Après tout que la justice rendue au nom du peuple français soit prononcée avec des représentants du peuple français n'a rien de scandaleux!
D'ailleurs, la présence de jurés est plutôt une idée de gauche, voire révolutionnaire. Les tribunaux issus de la Révolution Française avait choisi cette formule. Napoléon s'est empressé de l'envoyer aux oubliettes. A part aux assises où, pour juger les crimes, les jurés populaires sont restés longtemps les seuls juges. En effet, jusqu'aux alentours de la seconde guerre mondiale, les jurés français sont longtemps restés seuls, sans la présence de magistrats professionnels, à décider si les accusés étaient coupables ou non. C'était les magistrats qui, ensuite, décidaient du quantum de la peine et des problèmes techniques.
Un dernier détail pour la route. Les jurés populaires étaient jugés trop peu répressifs par les professionnels de la répression. Comme ils jugeaient en leur âme et conscience, ils n'avaient pas à motiver leur décision. Ainsi, par exemple, les jurés des assises avaient tendance à juger non coupables les avorteuses et les avortées alors que, bien sûr, l'avortement a été considéré longtemps comme un crime. Tel ou tel meurtre, quand il était considéré comme excusable, une bonne qui tue son patron violeur par exemple, pouvait entraîner un acquittement qui agaçait les professionnels de la répression.
C'est donc le Maréchal Pétain, un grand progressiste comme chacun sait, qui a imposé la présence des trois juges professionnels pour surveiller et encadrer les jurés. Une initiative qui rappelle des heures sombres mais qui n'a pourtant jamais été remise en cause. Je me demande toujours pourquoi cette petite histoire n'est pas rappelée trop souvent...
Les crimes étant jugés avec des jurés populaires tirés au sort, on ne voit pas pourquoi, au moins théoriquement, les délits ne pourraient pas être jugés de la même façon. D'autant que de très nombreux crimes passibles des assises sont correctionnalisés et sont transformés d'un coup de baguette magique en simples délits. On ne sait pas assez que la plupart des viols (juridiquement des crimes) par exemple sont jugés comme s'il s'agissait de simples agressions sexuelles (délits).
Bien sûr, plutôt que de recruter pour des sessions entières des jurés volontaires (on pourrait d'ailleurs effectuer un tirage au sort parmi des jurés volontaires qui, s'ils sont choisis, bénéficieraient de congés spécifiques), on a préféré tirer au sort au coup par coup pour quelques jours. D'où de gros problèmes d'explications répétées et de pertes de temps avec les nouveaux jurés.
Un rapport très critique vient d'être remis à Christiane Taubira. Rapport établi par deux magistrats alors que, très majoritairement, la magistrature était opposée à l'arrivée de jurés citoyens. Passons...
Sans surprise, on parle d'un rallongement très important des audiences car il faut tout expliquer aux deux citoyens assesseurs qui sont venus rejoindre les trois jurés professionnels.
Pour le reste, tout baigne: les magistrats de Dijon et Toulouse, à part le travail rendu plus lourd, sont très satisfaits des échanges avec les assesseurs; même chose pour ces citoyens assesseurs qui ont découvert avec intérêt le fonctionnement concret d'un tribunal.
Autrement dit, la messe est dite: c'est très intéressant mais ça ne se fera pas! Et, a priori, aucune autre formule de jurés populaires ne sera proposée. Le peuple, ça n'est pas très populaire! C'est d'autant plus triste que, paradoxalement, de très nombreuses juridictions françaises fonctionnent au moins en partie avec des juges non professionnels: tribunaux pour enfants, de commerce, des affaires sociales, des baux ruraux, prud'hommes, etc.
Lorsque l'idée des assesseurs populaires avait été lancée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, un magistrat avait écrit un long texte sur le blog du célèbre avocat Eolas. Cette tribune s'intitulait: "des jurés populaires, des réformes populistes?" (chez Eolas, le 7 janvier 2011). Tout était dit...
Didier Specq
23:19 Publié dans Justice, Politique | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Tant qu a faire on pourrait en mettre quelques uns au tribunal administratif: ca eviterait a des juges de declarer legal le permis de construire un stade de foot sur un site protege : celui de la citadelle de lille, un jure non fan du Losc bien sûr
Écrit par : Odeladeule | 06/03/2013
Je partage totalement.On ne peut rendre la justice au nom du peuple sans le peuple!
Écrit par : CHRUSZEZ | 10/03/2013
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