28/11/2013

Choisir la procédure, l'extraordinaire privilège du parquet...

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Une comparution immédiate, c'est simple, claire et sur des faits récents. Eh bien, pas du tout.

Christophe S., un habitant de Lens âgé de 31 ans, vient d’être arrêté… dans une prison où il est mis en cause pour une histoire non encore jugée survenue à Dunkerque. Mais, s’il se trouve hier dans le box des prévenus devant le président Bernard Lemaire, c’est après une longue enquête qui démarre tragiquement à Lambersart le 18 juillet 2012.

Ce jour-là, vers midi, deux policiers débarquent chez un couple âgé qui, justement, recevait leur grand fils. Les policiers affirment qu’ils enquêtent sur une histoire de vol de bijoux dans le secteur, deviennent de plus en plus menaçants et, de fil en aiguille, ligotent les trois personnes qu’ils détiennent dans des pièces différentes !

Bien sûr, ce ne sont pas des policiers et les assaillants bousculent les trois Lambersartois, gazent le fils, font la même chose sur le petit chien de la maison qui s’énerve (il en mourra), exigent bijoux, cartes bleues, code confidentiel, etc. Ils repartent, après 45 minutes de séquestration, avec 20.000 euros de bijoux et 2.000 euros en espèces. Tout ce qu’on sait, c’est qu’ils fuient dans une Audi TT dont l’immatriculation est relevée.

Mais on tombe sur un os : c’est une « doublette ». Autrement dit, les plaques d’immatriculation ont été copiées sur une Audi TT parfaitement identique dont le propriétaire n’a rien à voir avec tout ça.

Toutefois, le 14 juin, un cambriolage a été commis à Lézennes, à quinze kilomètres de là, avec exactement la même Audi dans le secteur. Et un témoin, entendu par les policiers, reconnaît formellement Christophe S. sur le fichier photographique de la police.

On présente alors la photo aux Lambersartois : le fils, présent hier à l’audience, reconnaît « à 200% » dit-il, son agresseur tandis que les parents sont un peu moins formels.

Passe d’armes hier à l’audience entre la procureure Perrine Debeir qui insiste « sur ces reconnaissances répétées sur les photos et récemment derrière une glace sans tain » tandis que Me Florian Régley ironise sur « la première photo sur plus de 300 qui est présentée aux témoins et qui est, comme par hasard, celle de mon client ».

Le prévenu nie formellement. Après plus de 2 ans, il ne peut donner d’alibis mais il assure que, à ce moment là, il travaillait et s’occupait de son bébé et de sa compagne.

Il ne veut pas être jugé tout de suite. La procureure réclame la détention provisoire « parce qu’à tout moment, dans l’autre affaire, il peut être remis en liberté et qu’il en profitera pour disparaître ! Déjà, on a eu beaucoup de mal à le repérer ».

Me Régley plaide l’inverse et insiste sur la minceur des charges contre son client : « Ce n’est pas parce qu’il a un casier qu’il doit être incarcéré ». Les juges hésitent mais finissent par ne pas décerner un nouveau mandat de dépôt.

On peut se demander pourquoi la procureure a choisi cette procédure alors que le moins que l'on puisse dire est que les faits sont lointains, que l'affaire est compliquée et que l'enquête n'est pas terminée puisque des complices supposés sont dans la nature. Sans doute l'accusation estime-t-elle que l'affaire ne progressera probablement plus et que, par souci d'efficacité, il vaut mieux renvoyer immédiatement le sommet de l'iceberg devant les juges même si une bonne partie de l'iceberg reste indiscernable sous l'eau.

On peut se demander aussi pourquoi, à l'inverse, l'avocat de la défense ne demande pas, même si c'est en vain, un supplément d'informations ou le renvoi devant le juge d'instruction. Probablement parce Me Régley craint peut-être que le cas de son client ne s'améliore pas avec des investigations supplémentaires. Alors que, le jour du jugement sur le fond, l'avocat pourra peut-être s'appuyer sur les zones d'ombres du dossier pour déséquilibrer l'accusation.

C'est ainsi que, parce que l'accusation a le privilège de choisir la procédure, cette affaire qui ressemble si peu à la comparution immédiate passe en comparution immédiate.

Didier Specq

23:53 Publié dans Justice | Lien permanent | Commentaires (0)

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