Péripéties judiciaires

Résumons. Le 10 mars, invité sur le journal du soir de TF1, Christiane Taubira explique que ce sont des juges qui mènent les investigations sur l'éventuel aide de la Libye à la campagne de Sarkozy en 2007 et qu'elle ignorait que Sarkozy ait été écouté puisque ce sont des "juges indépendants qui mènent l'enquête". Et, comme souvent quand ça n'est pas si net, elle sort sa formule favorite: "Je suis très claire".

La question du journaliste est très précise: Christiane Taubira dit ignorer tout ça avant la parution du journal Le Monde, vendredi dernier, qui révèle cette affaire.

Bien sûr, n'importe quel observateur un peu au courant des choses de la justice s'étonne tout de suite: que les juges d'instruction soient indépendants c'est une chose, que les procureurs, qui ne sont pas du tout indépendants, n'aient pas remonté cette information à leur supérieur hiérarchique, c'est à dire au ministère de la justice, c'est presque incroyable.

Et que ces écoutes qui se déroulent depuis au moins un an n'aient pas fait l'objet d'une seule information au "chef des chefs", c'est tout aussi incroyable.

Car, si des consignes sur telle ou telle affaire ne sont plus données, les procureurs sont toujours soumis à toute une hiérarchie qui remonte jusqu'au ministère. Et des consignes générales sur la politique pénale sont données. Et des réunions se déroulent. Et toutes les affaires sensibles doivent remonter de la base vers la ministre pour qu'elle soit au courant.

Par ailleurs, si un réquisitoire supplétif est demandé (le juge d'instruction demande à être saisi d'une nouvelle enquête qui concernerait un éventuel trafic d'influences), tout cela passe par le procureur concerné et, bien entendu, le magistrat instructeur avertit le magistrat procureur avant de faire cette demande. Quant à la notion d'affaire sensible, nous y sommes en plein: un ancien président de la République, un avocat et un magistrat de la Cour de Cassation soupçonnés! On ne peut pas faire mieux comme dossier sensible!

Bien entendu, Christiane Taubira est démentie de fait par le premier ministre le lendemain: le 11 mars, sur France 2, Jean-Marc Ayrault lâche: "Christiane Taubira a eu cette information et c'est comme cela que j'ai eu cette information moi-même". Le premier ministre ajoute que "c'est légal": tout à fait, c'est même l'article 35 du code de procédure pénale. L'info, sur l'éventuelle mise en cause d'un haut magistrat apparue dans les écoutes, remonterait à fin février. Sans commentaires.

Didier Specq