08/02/2012

Premier cimetière musulman

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Bizarre. Tout le monde a l'air de trouver ça très bien.

Pendant qu'on s'empaille autour des propos de Claude Guéant, un événement se déroule à Strasbourg. On inaugure, en présence des représentants de toutes les religions, le premier cimetière musulman de France. Attention, il ne s'agit pas d'un "carré musulman" présent dans un cimetière municipal mais bel et bien d'un cimetière entièrement à part qui permettrait aux Musulmans de mieux respecter un certain nombre d'obligations religieuses pendant, par exemple, les prières autour des tombes.

Tout le monde a l'air de trouver ça très bien. Possible. Mais, première remarque, cette inauguration d'un cimetière entièrement à part n'est possible que parce qu'en Alsace et en Moselle, il existe un statut particulier des religions hérité de l'après guerre. Attention, il s'agit de bien de la guerre 14-18. Autrement dit, voici à peu près cent ans, on a estimé que, puisque l'Alsace et la Lorraine revenaient dans le giron de la France (après l'épisode de la guerre de 1870), il fallait garder un certain nombre de particularités du droit allemand de l'époque. Entre autres, le fait que les ministres des cultes reconnus soient payés par l'Etat.

Ce statut particulier de ces départements permet donc l'inauguration de ce cimetière particulier. Cet exemple n'est pas généralisable puisque l'Etat, sur le reste du territoire, assure la neutralité et l'égalité de tous devant le service public des cimetières.

Contrairement à ce que l'on pense souvent, cette égalité devant la mort et une tombe décente est un combat qui a été mené par la Révolution Française et pas du tout par les Eglises. Pour les Catholiques, par exemple, le corps après la mort ne compte pas. Et, à part pour les tombes des puissants, on estimait tout à fait normal que les humbles soient entassés dans des fosses communes. Il n'existait d'ailleurs pas de cérémonie spécifique dans les cimetières. L'entassement a été tel, notamment à Paris à la fin de la monarchie, que des protestations de plus en plus vives s'élevaient. Ce fut un combat des philosophes que le droit pour chaque mort à être respecté. C'est à ce moment-là aussi que la jeune démocratie américaine aménage ses cimetières qui ressemblent presque à des jardins publics.

L'égalité proclamée par la Révolution Française et le souci de préserver chaque personnalité sont montés petit à petit dans les préoccupations de 'opinion. Napoléon a organisé très précisément le système des concessions dans les cimetières. Et, bien entendu, tout le monde avait accès à ces cimetières qui n'étaient plus liés aux églises. Impossible dorénavant d'interdire une tombe à un divorcé, un athée proclamé, un comédien, à l'adepte d'une autre religion, etc. Ce souci de respect de chaque personne décédée n'est d'ailleurs pas réservé aux cimetières devenus municipaux. On a commencé à voir par exemple des tombes et des inscriptions particulières sur les champs de bataille ou les monuments militaires avec le nom de chacun des soldats tués.

Tous étaient égaux devant la mort. Et, qu'on le veuille ou non, ce cimetière de Strasbourg pose problème. Que se passera-t-il par exemple lorsqu'un musulman non orthodoxe voudra être enterré dans ce cimetière? La question n'est pas théorique car, hélas, les religions sont parfois cruelles avec leurs dissidents. Que se passera-t-il quand les membres d'une même famille seront divisés sur la religion de leur parent décédé? On a déjà vu cette question à Lille à propos de l'incinération d'un vieil homme n'ayant pas laissé ses dernières volontés par écrit: les enfants estimaient que leur père n'était plus musulman et qu'on pouvait l'incinérer tandis que d'autres proches pensaient exactement le contraire. Un procès tumultueux s'en est suivi.

L'enterrement de tous dans le même cimetière, y compris bien sûr si des "carrés musulmans" existent, est tout de même une belle idée. L'enterrement de tous dans la même dignité et sous la protection des lois égalitaires de la République, c'est tout de même un acquis de notre histoire. Pas sûr que ce cimetière strasbourgeois soit un progrès; pas sûr que la revendication de chaque religion à garder le contrôle de "ses" morts soit souhaitable. On verra bien...

N'oublions pas en tous cas que la visite aux cimetières publics, aux alentours du premier novembre, reste de loin la première manifestation collective de nos concitoyens.

Didier Specq

Commentaires

"Pas sûr que la revendication de chaque religion à garder le contrôle de "ses" morts soit souhaitable".

Ce n'est pas "souhaitable" comme vous le dîtes, mais c'est tout simplement une obligation issue directement des textes religieux. Les croyants ne le font pas de leur propre chef, ils appliquent des préceptes. On ne peut pas appliquer une partir de la religion et rejeter le reste...

Écrit par : Lioeo | 08/02/2012

Une revendication ? Vous plaisantez !!! Les religions suivent tout simplement ce qui leur a été prescrit.

Écrit par : Nolo | 08/02/2012

Cette nouveauté n'interdira pas un musulman "non orthodoxe" de se faire enterrer dans un cimetière classique...

Écrit par : jackydurand | 08/02/2012

@Lioeo et Nolo. Je ne suis pas sûr que les principes des religions tels qu'ils sont enseignés par des textes sacrés (ou des dogmes rédigés par la suite) doivent obligatoirement être respectés dans les moindres détails.
On fait toujours à un moment ou à un autre des concessions, des évolutions existent, des compromis sont passés.
Un autre problème peut exister avec des religions sans clergé ou des religions qui ne sont pas unifiées. Qui décide alors de ce qui est obligatoire ou pas?
D'autre part, le cimetière musulman de Strasbourg n'est possible que parce qu'il existe une législation particulière dans ce secteur de la France. Or, tôt ou tard, ce particularisme risque d'être aboli.

D.S.

Écrit par : didier specq | 08/02/2012

Merci pour cet excellent article qui m'a permis de connaitre des choses sur les tombes de nos chers disparus. Voici peut être pourquoi Mozart fut mis en fosse commune.

Écrit par : leconteurbrulemaison | 09/02/2012

@leconteurbrulemaison

Effectivement, contrairement à ce que l'on croit souvent, le souci d'enterrer correctement tous les morts, avec une tombe individuelle ou un caveau familial, date de la fin de l'Ancien Régime et de la Révolution Française. Il serait trop long ici de parler des lois très détaillées prises du temps de Napoléon pour assurer ce service public. Mais c'est toujours sur cette base qu'il fonctionne en France.
En fait, le souci de garder publiquement un emplacement individualisé de la personne décédée correspond à la montée des "Droits de l'Homme".
Aux USA, sur des terres bien moins catholiques, on a constaté à la même époque ce même souci. Merci de la gentillesse de vos commentaires.

D.S.

Écrit par : didier specq | 09/02/2012

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