28/04/2012

Un Outreau chic?

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L'affaire dite du Carlton constitue-t-elle un Outreau chic?

On se souvient de l'affaire calamiteuse d'Outreau où une série d'habitants du Boulonnais avaient été détenus "provisoirement" pendant trois ans. Ils niaient, ils étaient généralement quinquagénaires, ils n'avaient jamais été condamnés, ils n'avaient contre eux aucun élément matériel même très indirect, ils étaient mis en cause verbalement par des enfants par ailleurs traumatisés par des parents effectivement pédophiles.

64 magistrats, selon les calculs de l'Union Syndicale des Magistrats, avaient examiné à un moment ou à un autre ce dossier: juges qui remplaçaient le magistrat instructeur pendant ses vacances, magistrats des services du procureur de Boulogne-sur-Mer ou du procureur général de Douai, juges des libertés et de la détention, magistrats de la chambre d'instruction de la Cour d'Appel de Douai, assesseurs... Et tous, unanimes ou presque, n'avaient rien vu de l'erreur judiciaire qui se préparaient.

Il est vrai que ces magistrats étaient bien "aidés" par le quasi-unanimisme qui régnait chez les journalistes, les politiques et les travailleurs sociaux qui s'occupaient de ce "dossier".

On connaît la suite. Le dossier qui prend l'eau devant les jurés de Saint-Omer qui acquittent quelques-uns des protagonistes. Et, finalement, en appel à Paris, 14 acquittés au total.

L'affaire dite du Carlton est examinée à Lille et pas à Boulogne-sur-Mer. Pourtant, l'instruction pose déjà quelques problèmes qui font penser, en plus chic, à l'affaire d'Outreau qui prenait sa source dans des HLM et pas dans des hôtels de luxe. Dans l'affaire d'Outreau comme dans le dossier du Carlton, il existe une sorte d'unanimisme moral qui gêne la sérénité: à Outreau, c'était la pédophilie, à Lille, c'est l'hostilité à la prostitution considérée comme un esclavage.

D'abord, on peut s'étonner du nombre de juges qui suivent de conserve cette affaire alors que, trois juges pour un même dossier, c'est tout à fait exceptionnel. Existe-t-il un précédent au tribunal de Lille? Pas sûr du tout.

On va nous dire, c'est une affaire de "proxénétisme aggravé en bande organisée", c'est très grave, c'est un crime d'après le code pénal. D'accord. Mais chacun sait que jamais ce dossier n'ira devant les jurés aux assises de Douai et que, d'un coup de baguette magique, ce dossier va être "correctionnalisé" un jour ou l'autre pour passer tranquillement devant le tribunal correctionnel de Lille. En attendant, on se sert des facilités de l'instruction criminelle. Ce n'est pas très élégant.

D'autant que les prostituées mineures, les femmes venues d'Afrique, parfois évoquées, se font toujours attendre. Certes, des prostituées se sont portées parties civiles. Certes, ce sont des victimes. Mais, a priori, c'étaient toutes des péripatéticiennes avant le déclenchement de cette affaire.

Le chargé de relations publiques du Carlton de Lille, un responsable d'entreprise de travaux publics filiale d'Eiffage, un directeur de société spécialisée dans le matériel médical ont donc passé de longs mois en détention provisoire alors qu'ils n'avaient jamais été condamnés. Mais, pour l'instant, il semble bien que ces rigueurs carcérales n'ont pas donné grand-chose.

Certes, on peut évoquer le rôle de "Dodo la Saumure". Mais ce sont des activités de proxénétisme, d'ailleurs en grande partie tolérées en Belgique, qui n'ont qu'un rapport assez indirect avec le dossier français lui-même.

Reste alors la vedette du dossier, Dominique Strauss-Kahn. Autant le dire tout de suite, nous ne figurons guère parmi les supporters politiques de l'ex-patron du Fonds Monétaire International. Mais la dureté apparente de la justice à son égard va finir pour nous le rendre sympathique.

D'abord, on lui applique d'emblée dans toute sa rigueur la loi sur le proxénétisme qui, en France, s'étend à tout acte d'aide ou de facilitation de la prostitution. Là, on coince sur un mystère. Même si Dominique Strauss-Kahn savait qu'il avait fréquenté des prostituées, il n'en était que le client.

Pas du tout car les juges lillois (s'opposant d'ailleurs au procureur de Lille) estiment que, dans la mesure où DSK aurait participé à des partouzes, il s'agit bien d'une facilitation car, à un moment ou un autre, DSK a été l'intermédiaire... Une femme prostituée passait des bras de DSK aux bras d'un de ses copains. Donc, pour les magistrats instructeurs, c'est un proxénète!

D'où cette bagarre dans les témoignages entre certaines victimes (qui estiment que DSK savait qu'il y avait des prostituées dans l'affaire) et les deux amis de DSK (le patron du bâtiment et le responsable de la boîte de matériel médical) qui affirment que l'ex-espoir de la gauche socialiste l'ignorait! Pour les magistrats instructeurs, il existe donc une sorte de délit de débauche collective à partir du moment où une prostituée figurent parmi les participants. Seul à seule, les juges lillois n'auraient pas mis en examen DSK! On avouera que ce raisonnement judiciaire est un peu tiré par les cheveux.

DSK se retrouve donc mis en examen dans une affaire présumée criminelle et il subit un contrôle judiciaire lui interdisant de parler aux autres protagonistes et même aux journalistes. Outreau, c'était une affaire sordide avec des détentions provisoires au long cours et totalement injustifiées. L'affaire du Carlton, c'est plus chic. Mais quelque chose ne tourne pas rond non plus.

Didier Specq

Commentaires

L'unanimisme «moralisateur» que tu décris n'existe pas. Les commentateurs qui répètent peu ou prou la même chose que toi sont légion, et tout comme toi, ils postulent que le dossier est vide. Tout cela est bien joli, mais cette posture me semble aussi hâtive que celle qui consiste à clouer DSK au pilori.

Comparer cette affaire a celle d'Outreau me parait en revanche franchement déplacé. Ici, on ne parle pas de personnes incarcérées sur la foi de témoignages d'enfants instrumentalisés par une mythomane, mais de personnes qui ont fait l'objet d'écoutes, de surveillances, de témoignages recoupés. Que l'affaire ne se termine sur un non-lieu ou une relaxe, c'est possible, mais en aucun cas les prévenus seront «innocentés» comme à Outreau. On verra si on est dans une exageration ou pas, mais une erreur judiciaire, non!

P.S : tu le fais toutes les semaines, ce billet, non?

Écrit par : Bruno Renoul | 29/04/2012

Quelle difficulté de lire ce papier au milieu d'autres "articles" de Nordblogs écrits dans je ne sais quelle langue.!!!
Mais cette analyse est intéressante même si on doit se forcer pour comparer cette affaire avec celle d' Outreau. Je crains cependant de devoir reconnaître aussi que la Justice n'est pas très "au clair" ici comme elle a dysfonctionné pour Outreau.

Écrit par : y cousin | 29/04/2012

Je m'étonne, qu'en ces temps où tout le monde insiste sur l'indépendance de la justice et la présomption d'innocence, Monsieur RENOUL soit si bien informé et si sûr de lui dans une affaire où, à ma connaissance, rien ne devrait filtrer !

C'est oublier, ou ignorer que Bruno RENOUL est dans les petits papiers de la PJ depuis son article sur les "affaires classées" (service dissout depuis d'ailleurs). Je trouve également troublant que ses articles soient publiés sur le site du syndicat alliance de la police, anisi que sur ... un blog de soutien à Marine Le Pen !...

Je trouve par contre qu'il y a des journalistes qui ont bien vite fait de tirer des conclusions et des verdicts en distillant ce que le lecteur doit penser. C'est ainsi que l'on construit l'opinion publique...

Écrit par : Reybon | 30/04/2012

@reybon

Je ne suis sûr de rien, c'est justement ce que j'écris dans mon commentaire. Si vous preniez la peine de lire...

Quant à vos propos sur la PJ, les petits papiers et de Front national, ils ne sont que de viles insinuations qui ne méritent que mon indifférence.

Écrit par : Bruno Renoul | 30/04/2012

Comparer l'affaire d'Outreau et l'affaire dite du Carlton est effectivement tiré par les cheveux. Mais... Dans l'affaire d'Outreau, on est passé au dessus d'un principe tout simple: le doute.
A l'époque, il n'était pas bon de prétendre, dans la bonne société, qu'après tout, en ce qui concerne un certain nombre de petits "notables" de Boulogne jamais condamnés, il n'existait pas, malgré des années d'instruction et de détention provisoire, d'éléments matériels constituant des charges tangibles. Or, ces "notables" -huissier, boulangère, curé, chauffeur de taxi, etc- niaient avec une belle constance. Mais, comme il s'agissait de pédophilie, on n'avait pas le droit de douter.

Dans l'affaire du Carlton, il s'agit de prostitution. Et, aujourd'hui, on estime souvent que la prostitution est toujours un esclavage abominable, une horreur qu'il faudrait complètement interdire y compris en condamnant les prostituées pour "racolage passif" (la loi existe depuis peu) ou les clients (la loi n'existe pas encore mais un projet a déjà été présenté). Là aussi, le doute n'est pas bien vu.

Or, qu'on le veuille ou non, il est difficile de croire que DSK est un des auteurs du crime de proxénétisme commis en bande organisé. C'est bien pour cela qu'il est mis en examen lui et ses co-prévenus. Désolé, dans ce dossier, on n'a pas encore vu la bande internationale qui réduit en esclavage les femmes en les important de force d'un pays exotique. Donc, je doute sérieusement.

Didier Specq

Écrit par : didier specq | 02/05/2012

Ce que je voulais dire c'est que contrairement à l'affaire d'Outreau, qui a donné lieu dans sa première phase à un unanimisme médiatico-judiciaire (avant que tout le monde retourne sa veste au procès en appel), le doute, ici, est communément admis et médiatisé. Les avocats tonnent publiquement, le parquet se veut réservé et des journalistes ou polémistes confient leur scepticisme.

Bien sûr, qu'il y a une opinion répandue selon laquelle la prostitution est un esclavage. Mais n'est-ce pas ce qu'elle est?

Quant à la bande internationale, elle existe sûrement (les escorts ne dépendent pas moins d'elles que les prostituées de rue) mais sera difficile à dénicher. Son existence ou son inexistence, de toutes façons, ne change rien aux qualifications retenues en ce qui concerne les huit mis en examen.

On ne rappellera jamais assez que mise en examen ne signifie pas culpabilité...

Écrit par : Bruno Renoul | 02/05/2012

L instruction en cours, est, si je ne m abuse, a charge et a décharge. Qu aurait on dit si les juges avaient ignoré la présence centrale d un homme politique de 1er plan a qui on s empressait d offrir des «cadeaux»? J en veux pour preuve la possible qualification de viol: elle a peu de chances d aboutir mais on ne pourra pas dire que les juges ont tenté d étouffer l affaire.

Enfin, on ne peut pas faire comme si tout le dossier avait été rendu public: il y a peut être d autres pièces qui permettront de mieux comprendre l affaire. Et de même, on ne peut pas en vouloir aux juges de la sur médiatisation de l affaire! Ce n est pas eux qui font les unes! Le papier publié dans un hebdo sur l agenda secret de DSK montre le coeur du problème, inhérent a la peoplisation de la politique: la facade montrée aux caméras était bien une... pure façade.

Écrit par : Gabriel | 18/05/2012

Gabriel,

Vous avez raison, on doit attendre l'épilogue de cette affaire quand toutes les pièces contenues dans le dossier seront discutées publiquement lors du procès. Mais rien n'empêche non plus, en attendant, d'émettre quelques doutes. Exemple: trois juges d'instruction s'occupent de ce dossier; c'est beaucoup puisque jamais, à Lille, un dossier, aussi important soit-il, n'a bénéficié à ma connaissance de trois juges d'instruction en même temps.

Écrit par : didier specq | 19/05/2012

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