18/05/2012

Surprise à la justice...

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Bonne chance, Christiane Taubira. Mais...

C'est peu de dire que l'arrivée de Christiane Taubira à la Justice est une surprise. On sait pourtant que la Justice est un secteur fondamental dans le fonctionnement de notre société. L'observateur de la vie quotidienne des tribunaux le sait: tout le monde finit par y passer. Divorce, délinquant, victime d'un acte de délinquance, conflit économique ou associatif, procès spectaculaire... Toutefois, en même temps, la Justice reste presque ignorée concrètement.

Presque à chaque fois, on est donc surpris de l'arrivée d'un nouveau ministre de la Justice: quasi par définition, il n'a montré auparavant aucun intérêt notable pour la Justice...

Pourquoi cette ignorance concrète? Vaste question. On notera qu'elle touche tout le monde. Les écologistes, par exemple, seraient bien en peine de citer les propositions concrètes en matière de Justice de leur candidate Eva Joly alors qu'elle a été longtemps magistrate. Cette ignorance concrète ne concerne donc pas uniquement les gens qui n'auraient pas de connaissances en droit. Peut-être que la Justice n'est tout simplement pas réductible à une idéologie ou à un catalogue de propositions? Ce qui gêne les amateurs de vérités simples.

Mais, justement, Christiane Taubira n'est pas tout à fait une inconnue en matière de justice. C'est l'auteure de la loi sur l'esclavage considéré comme crime contre l'humanité. Bref, du sérieux.

On lit donc l'article 1 de cette loi et on s'attend à trouver une définition et des mots qui feront date dans l'histoire de l'humanité.

Lisons les ensemble: "La République Française reconnaît que la traite négrière que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite négrière dans l'océan indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVème siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan indien et en Europe, contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité". Voilà l'article 1 voté en 1998. Les articles qui suivent ne concernent que l'enseignement concernant l'esclavage et les recherches scientifiques.

On se frotte les yeux en lisant ce texte. Compliqué, avec des incises et des répétitions, il ne vise en fait qu'à délimiter strictement l'esclavage de telle façon que seuls les Européens, y compris anglo-saxons, soient visés par la condamnation. A la place d'une définition générale, on trouve une géographie et une histoire tronquées.

On fait démarrer l'esclavage au XVème car, avant, les populations européennes étaient victimes de l'esclavage dû au servage ou aux razzias "barbaresques" sur les côtés européennes. On limite l'esclavage à la traite à travers les océans car cela permet de ne pas parler de la traite à travers le Sahara organisée dans la sphère arabo-musulmane. Rien non plus sur les pays qui n'ont aboli que récemment l'esclavage et qui pourraient être concrètement poursuivis par les esclaves ou leurs descendants directs!

On imagine bien les raisons de cette loi étrange: ne pas dresser les communautés les uns contre les autres. Mais, aujourd'hui, les lois morales et à géométrie variable ne sont plus à la mode. Voir, récemment, l'abrogation de la loi sur le harcèlement qui avait été rédigée n'importe comment. Et, tôt ou tard, Christiane Taubira va devoir s'expliquer sur cette loi.

Pour la sérénité du débat, la ministre de la Justice et les députés de gauche devraient prendre l'initiative de modifier la loi sur l'esclavage avant que d'autres, dans la droite très à droite, ne s'emparent de la polémique à venir.

Didier Specq

Commentaires

Cette loi ne passerait pas le cap de la constitutionnalité.
Il en est de même , je pense, pour la loi contre le racisme ET l'antisémitisme. Faire de l'antisémitisme un racisme différent des autres est une incongruité juridique.

Écrit par : Luc Defebvre | 22/05/2012

Cher Luc Defebvre,

Je pense que votre analyse, concernant la loi Taubira, est assez juste. Mais, pour que la question préalable de constitutionnalité soit posée, encore faut-il qu'un mise en examen ou une victime la pose. Or, la loi Taubira a été rédigée de telle façon que les victimes actuelles de l'esclavage ne puissent pas déposer de plainte!

Car, de façon tout à fait officielle, l'esclavage a été aboli de façon relativement récente par plusieurs pays. Donc des personnes ayant été esclaves (ou enfants d'esclaves) vivent toujours et pourraient demander des dommages et intérêts pour le crime contre l'humanité qu'elles ont subi! Mais, en France, l'esclavage étant défini sur des bases historiques et géographiques tronquées, ces esclaves bien réels ne peuvent s'adresser à la justice française!

Sans parler des pratiques esclavagistes qui subsistent ici ou là officieusement puisque des organisations humanitaires américaines ont "racheté" encore récemment des esclaves...

Écrit par : didier specq | 23/05/2012

Si l'on vous comprend bien, non seulement cette loi est mal rédigée, mais en plus elle est purement incantatoire.

Si tel est le cas, doit en conclure que le législateur est incompétent techniquement, ou alors que des élus s'amusent à faire voter des textes dont l'utilité s'arrête à la bigoterie du moment ?

Vous évoquez souvent le dangereux mélange entre morale et justice...

Écrit par : Edouard d'Erf | 23/05/2012

@ Edouard. A dire vrai, je me demande si les députés (unanimes!) l'ont lue!
DS

Écrit par : didier specq | 23/05/2012

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